Deuxième long-métrage d’Erwan Le Duc et second film présenté en compétition au Festival de Sarlat, La Fille de son Père met en scène un duo d’acteurs composé de Nahuel Perez Biscayart et Céleste Brunnquell. Le premier interprète Étienne, un père abandonné par sa conjointe à la naissance de leur fille alors qu’il n’avait que vingt ans. La seconde est Rosa, la fille en question, désormais âgée de dix-sept ans et prête à entamer des études supérieures, loin de la maison de famille. Ce cocon familial est exclusivement composé du père et de sa fille, ce dernier n’ayant jamais eu l’envie de s’impliquer à nouveau dans une relation sentimentale depuis le départ de Valérie, la mère de Rosa.
Le film d’Erwan Le Duc se centre alors essentiellement sur ce duo père/fille, autour duquel vient graviter toute une panoplie de personnages secondaires venant, à leur manière, troubler le quotidien. Il y a par exemple Hélène, la nouvelle semi-compagne d’Étienne qu’il n’assume qu’à moitié. Elle a tout de la compagne idéale, mais le père de Rosa ne s’autorise pas à le voir, toujours obnubilé par son aventure passée. Mais les plus grandes vagues sont provoquées par Youssef, interprété par la révélation Mohammed Louridi, petit ami “platonique” de Rosa. Malgré le fait qu’il soutienne que Youssef n’est pas obligé de se faufiler en douce pour venir la voir, Rosa a besoin de préserver de cette manière son intimité afin de parer à l’aspect trop idyllique de la relation avec son père. Entraîneur d’une équipe de football amateur, Étienne a trop de temps à consacrer à sa fille et limite toute autonomie de cette dernière. En témoigne la séquence où, apprenant que celle-ci est acceptée dans une école à Metz, il fait plus de 3h de trajet afin de faire la connaissance du corps enseignant du futur établissement scolaire de sa fille. L’interprétation, toute en poésie, de Nahuel Perez Biscayart ajoute une dimension de rêverie à son personnage qui semble en décalage avec le monde qui l’entoure depuis la fuite de sa compagne il y a plus de seize ans.

Cette poésie est aussi celle de la mise en scène formaliste d’Erwan Le Duc qui, par moments, nous rappelle à celle de Michel Gondry. C’est tout particulièrement le cas dans son approche, astucieuse et jonchée de partis-pris, de certaines séquences, comme celle de la chorégraphie de Mercedes Dassy sortant en dansant d’un ascenseur d’hôpital. Par les artifices du montage, les effets pratiques, la déformation du corps de la danseuse, et des choix audacieux de post-production (particulièrement la multiplication des corps), le film de Le Duc fait écho aux séquences de danse de Romain Duris dans L’écume des Jours (2013).
Dans La Fille de son Père, le duo père/fille fonctionne par antithèse. Pourtant plus proches que n’importe quelle famille, Étienne et Rosa vivent d’envies contraires. Les études, l’amour, le travail, la nourriture… sont autant de sujets de discorde pour les deux protagonistes qui continuent cependant de maintenir une (fausse ?) harmonie dans leur relation. Car plus le film avance, plus les personnages s’éloignent, se manquent, se rapprochent et se déchirent à nouveau. Alors quand apparaît à la télévision, dans un reportage Thalassa sur des surfeurs portugais (véridique), le visage de Valérie, cela provoque chez Étienne l’envie de la retrouver. De son côté, Rosa estime ne pas avoir à rencontrer une mère pour qui elle n’a jamais été la fille. Sujet de discorde majeur entre le père et la fille, cette séquence de la (re)découverte de la mère offre des possibilités de mise en scène que le cinéaste s’empresse d’adopter. Les axes de caméras tournent autour d’Étienne, sous le choc et immobile pendant des heures, alors qu’à l’extérieur de la maison la nuit a le temps de passer et le soleil de se lever.

La dernière séquence du film est rythmée par la musique You’ll Never Walk Alone, écrite par Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II, jouée au piano par le personnage d’Hélène dans le futur appartement qu’elle est censé partager avec Étienne. Alors que les notes de piano laissent deviner la partie du refrain “Walk on through the rain, thought your dreams be tossed and blown (Marche sous la pluie bien que tes rêves soient maltraités et soufflés)”, Étienne est justement contraint de choisir entre ses deux rêves : Celui de retrouver la mère de sa fille pour reconstruire une idylle passée et celui de mener le reste de sa vie auprès d’Hélène, la femme qu’il aime désormais et qui l’attend chez lui. Un choix entre regarder en arrière ou foncer droit devant.
La Fille de son Père de Erwan Le Duc. Avec Nahuel Perez Biscayart, Céleste Brunnquell, Maud Wyler…1h31
Sortie le 20 décembre 2023
Présenté en compétition au festival de Sarlat 2023