Huit ans. Huit ans que Michel Gondry n’a pas réalisé un long-métrage. Une anomalie pour celui qui enchaîne les projets sur grand écran entre 2001 et 2015 avec sur cette période pas moins de onze films. Le cinéaste n’est cependant pas resté inactif en tournant la plupart des épisodes de Kidding, série qui marque ses retrouvailles avec Jim Carrey depuis Eternal Sunshine of the Spotless Mind, des publicités ou des clips mais est resté assez discret sur son absence au cinéma. Et si sa meilleure réponse était son Livre des solutions, une plongée bordélique mais débordante de sincérité sur la créativité d’un·e auteur·ice ?
Marc (Pierre Niney) est un cinéaste adulé qui se rend confiant à une réunion avec les producteurs de son dernier script. L’un deux, Matthias (Vincent Elbaz), lui recommande de revoir la fin du film car personne ne l’a comprise. Furieux, il quitte la pièce et embarque son ordinateur et son équipe chez sa tante Denise, dans les Cévennes, pour terminer son film. Embarqué par un millier d’idées à la minute aussi géniales que délirantes, Marc se lance dans l’écriture du Livre des Solutions, un guide de conseils pratiques qui pourrait bien être la réponse à tous ses problèmes…
Michel Gondry a sans cesse questionné notre rapport à la mélancolie dans ses œuvres. De la Science des rêves à Microbe et gasoil, tou·tes ses héro·ïnes affichent leurs fragilités et leurs incapacités à exister, comme Marc ici. L’alter-ego du réalisateur est un névrosé de l’existence au sens le plus simple du terme. Séparer l’Homme de l’artiste est un marronnier tous médias confondus et Gondry montre dès ses premières scènes que c’est impossible. Lorsqu’il embarque son équipe dans un environnement familier pour y finir le tournage et le montage, Marc fusionne déjà entre celui qu’il est et le réalisateur adulé pour ses idées. Difficile de les différencier tant il semble en constante lévitation sur ses problématiques de tournage et occulter totalement l’espace environnant. Si tout le monde semble en perpétuel mouvement, l’illusion retombe très vite aux premiers caprices du réalisateur qui place tou·tes les autres immobiles face à ses folies/demandes/idées. Gondry place le cinéaste au dessus de tout, s’accordant avec la pensée de David Lynch de « ne réalisez pas un film s’il ne peut pas être celui que vous voulez véritablement faire ». Un metteur en scène tyrannique pour son équipe (réveillée en pleine nuit, accablée de demandes improbables…) qui se présente sous un air sympathique mais totalement incapable de vivre en cohabitation et de respecter les limites sociales ou morales.
Cette fuite chez tante Denise représente la liberté pour Marc, celle de continuer à créer pour avoir le film souhaité : une chimère. Il est assailli par des doutes au moment de tourner ou même de faire face à sa propre production. Si toutes ses angoisses sont pour la plupart des éléments de comédie, elles n’occultent pas que ces moments de création sont autant de sympathiques bordels collectifs que des envies de se cacher pour un cinéaste qui n’arrive pas à se canaliser. Et ce n’est pas son Livre des solutions qui peut l’aider mais bien les autres, celleux qui ne supportent plus de subir les moindres décisions et qui le poussent à (re)prendre en compte le cadre dans lequel iels vivent tou·tes. La seule façon pour le réalisateur de ne pas sombrer dans la déraison totale est de faire face à celleux qui lui disent non ou demandent de présenter des excuses.
Gondry ne manque pas d’idées originales/visuelles marquantes comme le « camiontage », ce camion reconfiguré en studio de montage par soucis d’économie et de place, qu’il offre à Charlotte (Blanche Gardin), pour rappeler son envie d’échapper à toutes formes d’uniformisation et de refuser la simplicité quitte à ce que Marc tende vers l’absurde. Même lors de ces moments (diriger un orchestre alors qu’il n’y connaît rien en musique ou chronométrer le trajet hôpital – maison) de comédies jouissifs, la relation entre Marc et les spectateur·ices demeure assez affective tant la relation Homme – création est complexe. Michel Gondry convoque ses vieux démons pour questionner son insatisfaction chronique à travers un propos pessimiste mais touchant et hilarant. Pierre Niney incarne cet esprit torturé mais prolifique avec la démesure d’un rôle unique, celui qui passe par des moments de colère et de détresse (les échanges entre Denise et Marc notamment) pour comprendre qu’être soi-même c’est aussi prendre en compte les ressentis des autres.
Le Livre des solutions écrit et réalisé par Michel Gondry. Avec Pierre Niney, Blanche Gardin, Françoise Lebrun… 1h42
Sortie en salles le 13 septembre 2023