Au XVIIIème siècle, un diplomate français parcourt des chemins slaves pour une mission de haute importance. Sa route croise le parvis d’une étrange maison, abritant une étrange famille. Le patriarche, parti à la guerre, laisse ses héritiers face à leurs angoisses mystiques : si son retour tarde au-delà de six jours, ça signifiera qu’il aura été transformé en vampire…
Les spectateurs ayant profité de ce conte gothique en salles se comptent sur les doigts d’une main. Débarqué de nuit tel un cercueil dans la cale du Déméter, son aura a tourné la tête des curieux à l’aurore. Ce « Vourdalak » est apparu au dessert d’une fournée 2024 bien gourmande, comme un surplus sucré – facilement écœurant. Pourtant, on se surprend à lever le sourcil face aux promesses qu’il susurre avec un titre et une affiche aussi déboussolants que le voyage aux Carpathes de son intrigue. Or, il s’agit d’un premier film. On assiste sans doute à l’audace d’une plume n’ayant pas encore goûté à la dictature de l’audience. Et bien que le cinéma français s’épanouisse par ailleurs, on ne renie pas l’idée d’un Nosferatu sauce cocorico.
En gros, notre sympathie accompagne les espérances portées par le long-métrage d’Adrien Beau. Est-elle justifiée ? Elle l’est… aux mêmes proportions que celle commandant notre sourire face au collier de nouilles d’un enfant. La démarche est belle mais l’essai n’est pas transformé ; il a tout juste coiffé nos attentes d’un ennui poli. Ne travestissons pas la richesse cinématographique de 2023 pour dorer le blason du Vourdalak : on achève le visionnage de cet épisode spécial Noël de Kaamelott avec amusement, mais on en sort sans souvenirs.
L’indulgence est de mise pour une création tournée avec peu de moyens et beaucoup d’envie. Le cadre rêche, la diction théâtrale et la rigidité des corps distancient le spectateur des épreuves techniques éprouvées derrière la caméra. Ces stratagèmes s’accompagnent d’une image floue à défaut d’être rêveuse – ainsi soit-il, une telle proposition a le mérite d’exister. On ose même s’en ravir avec ce personnage de Sdenka, princesse triste et mystique célébrée par la pellicule embuée. Adrien Beau joue les Boorman en guidant sous un voile ésotérique la danse de cette femme ; c’est un peu son ersatz de Charlotte Rampling qui aurait fui Zardoz pour offrir Excalibur au roi de Bretagne.
Grâce à Sdenka, incarnée par Ariane Labed, les limites techniques et la démarche artistique s’harmonisent sur un fil. Pour quelques scènes, le conte épouse au premier degré la radicalité de son genre. Il offre un espace amateur où le mysticisme se meut : nous avons l’impression qu’une princesse troyenne est prise au piège dans notre jardin.
Le reste du temps, nous héritons des miettes de cette symbiose. Citons Kacey Mottet Klein, aux prises avec un costume de noble enfariné : son ridicule et sa difficulté à pénétrer le cadre replacent ce dernier dans un narratif factice. Avec l’ensemble du casting, il assourdit le métrage de dialogues particulièrement catastrophiques. Pire, ceux-ci essoufflent le rythme général avant d’avoir tenté le moindre effort. Dans le premier tiers du film, Beau met à nu les nerfs de la famille protagoniste. Ils s’écharpent entre les pierres ennuyeuses d’un très laid corps de logis. Seule la sœur Sdenka dispose d’un peu de relief avant qu’une exposition figée ne s’empare des discours de la fratrie. La pellicule vaporeuse finit par s’effiler contre le toc, car elle a macéré dans le jus d’un décor à faire pâlir M6.
En vérité, seules les interactions entre la sœur et le noble semblent intéresser l’équipe du film. Le mythe du Vourdalak occupe une fonction « boule de disco » instillant une ambiance gothique idéale pour seoir au plateau de tournage. Autrement, l’aspect mythologique de la nouvelle est sacrifié. Le masque du démon de Mario Bava avait pourtant montré le chemin : 70 ans plus tôt, il dépeignait superbement le désir d’un jeune homme aisé pour une princesse malheureuse, laquelle était aux prises avec une malédiction familiale plus que tangible.
À cause de sa finition trop lisse, la marionnette en plastique du Vourdalak nécessite un traitement de l’image éthéré, et n’aurait pas renié une mise en scène moins frontale, dans laquelle plonge pourtant Adrien Beau : un ridicule nait à l’écran pour faire miroir au grotesque du noble guindé. Si décrochage il y a, on ne peut s’y perdre : la marionnette ne s’empare jamais vraiment de l’image. Ses tirades sont mécaniques, trop intégrées aux fonctions narratives, elles emprisonnent celui qui les déclame.
On perçoit une tentative de rupture de ton durant la scène où le vampire commande aux protagonistes de danser. À cet instant, il assume sa grossière figure d’une ère éloignée, sa silhouette recrachée d’un autre film. Face à la rugosité de la peau des acteurs, il aurait pu appuyer sa dimension de l’étrange en prenant la main du spectateur vers un horizon narratif ou perdre pied. Malheureusement, on ne décolle jamais dans Le Vourdalak – ou plutôt, on ne s’enfonce dans aucune limbe qui aurait pu nous titiller la glotte.
Le Vourdalak, réalisé par Adrien Beau. Écrit par Hadrien Bouvier et Adrien Beau, d’après une nouvelle de Aleksei Tolstoï. Avec Kacey Mottet Klein, Ariane Labed, Grégoire Colin… 1h31
Sortie le 25 octobre 2023.