Depuis Les bonnes étoiles, Hirokazu Kore-Eda n’a pas chômé. On a pu d’abord le retrouver sur Netflix avec sa mini-série Makanai : Dans la cuisine des maiko et très bientôt avec son nouveau long-métrage, Monster. Comme à son habitude, le réalisateur aborde des thèmes qui lui sont chers tels que les liens familiaux – et au sens plus large les liens entre les humains – ainsi que les enfants et leur façon de déambuler dans ce monde parfois abrupt.
Après s’être expatrié en France pour La Vérité et en Corée du Sud pour Les bonnes étoiles, Kore-Eda revient à ses origines en plaçant son récit au Japon. Il s’est même entouré d’une nouvelle équipe pour ce tournage avec notamment Yuji Sakamoto qui l’a rejoint au scénario. Seul Ryoto Kondo, à la photographie a déjà travaillé avec le réalisateur, sur Une affaire de famille. À noter que c’est le dernier projet sur lequel a travaillé le compositeur Sakamoto Ryuichi, avant son décès en mars dernier.
Minato est un jeune garçon qui semble de plus en plus troublé. Ses comportements deviennent étranges, il devient violent, revient à la maison avec une oreille blessée ou avec une chaussure en moins. En mère veuve qui a tendance à le surprotéger, Saori décide d’en parler avec le personnel éducatif de son collège, persuadée que tout ceci est à cause d’un harcèlement répété de la part de son professeur, M. Hori. Mis sur le banc de touche et devenu paria de la ville, ce dernier cherche à découvrir la vérité derrière toute cette histoire et ces non-dits. Alors que les langues se délient et que les points de vue convergent, la vérité ne tarde pas à éclater… à moins qu’il ne soit déjà trop tard.

Si le film de Kore-Eda a été beaucoup comparé à Close – Grand Prix du Festival de Cannes 2022 -, il serait injuste de le réduire seulement à ça. Il conviendrait même de se replonger dans la filmographie du réalisateur puisqu’il n’a pas abordé le thriller depuis The Third Murder en 2018, dans lequel la recherche de vérité était au cœur de l’intrigue et où il était aussi question de différents points de vue racontant la même histoire. Pour Monster, on retrouve une structure narrative similaire à Rashômon d’Akira Kurosawa (1950) où les pièces du puzzle se mettent en place progressivement au gré des points de vue de chacun·e des protagonistes. Pourtant, la première partie laisse à penser à un drame somme toute classique en suivant le quotidien mouvementé d’un Minato vraisemblablement troublé par quelque chose, ou quelqu’un. Elle est d’ailleurs assez déroutante tant on n’arrive pas à discerner où le cinéaste veut en venir, là où il nous a habitué·es à des éléments de langage cinématographique reconnaissables. Ce n’est que lorsque la seconde partie débute et adopte le point de vue du professeur que tout s’imbrique et la situation s’éclaire.
Sans dévoiler les tenants et aboutissants des liens qui unissent les différents protagonistes, on retrouve la patte Kore-Eda lorqu’il s’agit de disséquer une société nippone et sa cellule familiale pour mieux l’analyser et la déconstruire. S’il a l’habitude d’étudier la famille au microscope avec ses qualités et ses failles, le cinéaste s’attaque au système scolaire et à ses professeur·es incapables de prendre les bonnes décisions, préférant protéger leurs arrières et sauver les apparences plutôt que de chercher la vérité. Kore-Eda nous rappelle que les monstres sont partout et se créent par un manque de communication et d’empathie qui se fait de plus en plus ressentir dans notre société. Au coeur du chaos dans ce monde adulte, émerge l’espoir en ces deux enfants dont la pureté du visage nous emporte avant de se retrouver salis par les tourments de la vie et les conséquences des adultes incapables de voir et de comprendre leurs maux. C’est finalement dans le troisième acte que toute la puissance émotionnelle se révèle, les pièces du puzzle sont imbriquées, la vérité a éclaté mais n’est-il pas trop tard ?
Avec son Monster, Hirokazu Kore-Eda semble reprendre du poil de la bête. Avec toujours autant d’aisance et de maestria, il sort de ses schémas auxquels il nous a habitué·es pour explorer un autre terrain sans pour autant oublier les thématiques qui animent son cinéma depuis des années. Une recette qui fonctionne et qui nous foudroie.
Monster réalisé par Hirokazu Kore-Eda. Écrit par Yuji Sakamoto. Avec Sakura Andô, Eita Nagayama, Soya Kurokawa… 2h06