Quel est le point commun entre Alain Chabat et Theresa Traore Dahlberg ? Les filles et les travaux manuels. Encore que les Bricol girls du roi des Nuls sont bien éloignées de celles de la réalisatrice suédoise. Pour elle, il s’agit des Ouaga girls, des Burkinabées qui ont choisi de faire une école de mécanique automobile afin de s’éduquer et de s’insérer dans le monde du travail. Or ce corps de métier est, on se doute, très masculin. Un véritable parcours de combattante s’annonce pour celles qui reçoivent une éducation tardive du fait de leur genre et doivent s’imposer dans une vie qui n’est pas prévue pour elles. Programme moins sexy donc, mais plus galvanisant.
Dès les premières images nous donnant à voir une école de mécanique auto où de jeunes femmes sont assises dans une salle de classe, une question se pose : Pourquoi, alors qu’il est établi par le professeur qu’elles apprennent la tôlerie, ces jeunes femmes font-elles une discipline linguistique ? L’on comprend que lorsqu’on est une femme au Burkina Faso, l’éducation n’est pas un passage obligatoire – même s’il est accepté. La formation à l’emploi que nos protagonistes suivent s’accompagne de cours plus théoriques destinés à les remettre au niveau scolaire qu’elles n’ont pu atteindre auparavant. On voit d’ailleurs les rêves se dessiner, certaines ayant choisi cette filière parce qu’elle leur permet de se former et d’accéder à l’emploi, la voyant comme une passerelle vers des envies plus personnelles. D’autres, qui aiment leur métier, entendent bien obtenir leur diplôme pour faire la nique aux jeunes hommes qui les narguent lors de leur stage, se moquant de celles qui, selon eux, ne pourront assumer toutes les tâches de par leurs manques physiques.
Pour orienter le point de vue dans son Ouaga girls, Theresa Traore Thalberg fait un habile chemin d’équilibriste sur l’art de la contrebalance. Elle se plaît à alterner des moments de joie, par exemple lorsque les filles réparent entre elles de la tôle sans se soucier de certaines consignes de sécurité, avec des passages chez la psy où nous en apprenons plus sur leurs conditions sociales. Le film aime faire le contre-champ pour questionner ce qu’il montre mais aussi pour nuancer les notions inculquées lors des cours. Une séquence où une professeure donne des conseils sur la contraception mêlés à des mises en garde contre les dangers du sexe qui voueraient à une interdiction formelle, aboutit à une scène de boîte de nuit où les corps dansent, se draguent, miment l’acte. Juste après, nous voyons l’une de nos héroïnes parlant de son regret d’avoir eu des enfants si jeune, ce qui lui a bloqué des perspectives d’avenir dans un pays où la place des femmes n’est jamais bien définie autre part que dans le foyer. Causes et conséquences se mêlent à la caméra, sans jamais que celle-ci n’y pose un jugement. Par quelques passages véhiculaires à l’effigie de jeunes candidats politiques, et de discours scandés au mégaphone en arrière-plan, on entend les discours révolutionnaires d’un pays proche de ses élections.
Le véritable changement, celui que le champ nous dévoile, c’est celui d’une évolution de mœurs, de ces femmes qui accèdent à un métier qui leur est initialement refusé, et y vont avec force et courage. “Comment ferez-vous lorsque vous serez mariée, si votre mari ne veut pas que vous travailliez ? – Je lui répète en boucle, que c’est comme ça et qu’il doit l’accepter. Il dit que oui mais je sais qu’une fois mariée, il aura le dernier mot et pourra changer d’avis. Donc je me méfie et s’il le faut, je ne l’épouserai pas !” La conviction se déclame à chaque plan, les doutes aussi, pour celles qui veulent parfois abandonner mais usent de leur sororité pour défendre leurs intérêts en sachant que c’est ensemble qu’elles y arriveront. Ouaga girls n’a d’autre ambition que de mettre en lumière ces portraits ; montrer que partout dans le monde, les femmes se bougent, clament leur existence, se dépêtrent de traditions envers lesquelles elles n’ont pas eu mot. C’est un exemple à ne jamais oublier lorsque nous combattons pour nos droits, car l’effet papillon aboutit au Burkina Faso.
Ouaga girls, de Theresa Traore Drahlberg.
Sorti le 7 mars 2018