Kevin Costner

[ON REMBOBINE] – JFK : sur les traces du complot

Peu de films peuvent se targuer d’avoir un impact qui dépasse le simple cadre du cinéma. JFK, réalisé par Oliver Stone en 1991, fait pourtant partie de cette catégorie. En effet, en revisitant l’enquête sur l’assassinat du Président des Etats-Unis John Fitzerald Kennedy le 22 Octobre 1963 à Dallas, le cinéaste met en lumière les différentes zones d’ombre entourant la version officielle de la seule culpabilité de Lee Harvey Oswald. L’écho se fait ressentir au sein du grand public via son grand succès commercial (le film rapporte 200 Millions de dollars dans le monde, pour un film de trois heures !) et imprime l’idée claire d’un complot au sein de la population. Bien que le House Select Committee on Assassinations publie un rapport en 1979 indiquant un probable complot pour assassiner le Président, c’est encore aujourd’hui le rapport de la commission Warren (concluant à la seule culpabilité de Lee Harvey Oswald) qui fait office de vérité. Le cinéaste fait bouger les lignes au niveau du congrès qui vote en 1992 une loi sur la divulgation des documents relatifs à la mort de Kennedy, d’où la publication fréquente de documents classifiés par les différents présidents du pays (de Bill Clinton jusqu’à Joe Biden).

JFK est surtout un film éminemment personnel pour Oliver Stone vis-à-vis de son engagement lors de la Guerre du Vietnam. Stone s’est engagé volontairement, convaincu que la menace communiste pesait sur le pays. Il revient du conflit changé à jamais (ce qu’il relate dans Platoon et Entre ciel et terre), désormais convaincu que son pays fait la guerre partout sur la planète dans un but de domination économique et militaire et non pas pour le bien-être des peuples. Le réalisateur affirme et tend à démontrer que Kennedy avait pour projet de désengager les troupes américaines présentes au Vietnam et que son assassinat a au contraire accéléré l’engagement du pays. En d’autres termes, à un impact direct sur sa vie personnelle mais aussi sur le pays qui rentre dans un conflit armé qui ne se conclut que dix ans plus tard sur une humiliation en Afghanistan.

Pour raconter son histoire, Stone se base sur deux livres. Le premier, On the Trail of the Assassins, retrace l’enquête du procureur Jim Garrison (incarné par Kevin Costner), convaincu que Lee Harvey Oswald (interprété par Gary Oldman) n’est qu’un pion et du procès qu’il intente à l’homme d’affaires Clay Shaw (Tommy Lee Jones) qu’il accuse d’être agent de la CIA ayant participé au complot. Le second, Crossfire: The Plot That Killed Kennedy de Jim Marrs, développe une théorie du complot basée sur la présence d’un second tireur lors de l’assassinat. Dès la mise en chantier du film, Oliver Stone se trouve accusé de tordre la vérité des faits. En réponse, ce dernier publie une version annotée de son scénario, justifiant l’ensemble de ses décisions. Le réalisateur s’est surtout montré très critique vis-à-vis de Jim Garrison et de son enquête, indiquant que ce dernier avait suivi beaucoup de fausses pistes et faisant confiance à de nombreux excentriques.

Pourquoi le cinéaste s’est-il attelé à raconter l’histoire de son enquête si lui-même ne croît pas véritablement à sa théorie ? D’abord parce que d’un point de vue narratif et cinématographique, elle lui permet de réaliser un thriller haletant et paranoïaque doublé d’un film de procès sur la seule personnalité à avoir tenté une action en justice sur cette affaire. Un thriller largement inspiré dans sa structure par les films Z et Rashōmon. À l’instar du film de Costa Gavras et de celui de Kurosawa, JFK se structure sous forme de flashbacks qui remontent progressivement le fil de l’évènement principal, multipliant les pistes à travers les différents témoins. On peut considérer le Jim Garrison du film comme une version américaine du personnage incarné par Jean-Louis Trintignant dans Z plutôt qu’une transposition du véritable procureur de la Nouvelle Orléans. Une caractérisation qui valide d’autant plus le choix de Kevin Costner – exceptionnel dans le rôle -, véritable représentant d’une certaine noblesse et morale de l’américain moyen. Un film parfois décrit comme hagiographique du fait de ce choix, comme pour la représentation très positive et peu nuancée (caractéristique qui certes ne correspond pas à Oliver Stone) de Kennedy. Pour une description moins lisse du personnage, vous pouvez toujours vous tourner vers le roman American Tabloïd de James Ellroy qui fait du Président un drogué obsédé sexuel et n’esquive pas les liens du paternel avec la mafia.

L’autre raison qui pousse Oliver Stone à se concentrer sur Jim Garrison est qu’il peut à travers cette histoire distiller les éléments qui lui permettent d’accréditer sa propre version. Car Oliver Stone est clairement un partisan de la théorie du complot selon laquelle l’assassinat est organisé par le complexe militaro-industriel pour empêcher Kennedy de retirer les troupes américaines du Vietnam (ce n’est pas un hasard si le film s’ouvre sur le discours d’adieu du Président Eisenhower qui, justement, pointe les dangers de ce complexe). À ce titre, le réalisateur s’autorise quelques contorsions scénaristiques comme avec la scène de Monsieur X (incarné par Donald Sutherland), inspiré par un véritable membre des services secrets, qui apparaît au milieu et n’a comme seul véritable objectif que de développer toute la pensée de Stone et d’en convaincre son public. Une séquence qui se pose néanmoins comme une leçon de rythme, de montage et de tension, soulignée par le score magistral (peut-être son meilleur travail hors filmographie de Spielberg et Star Wars) de John Williams. Ce passage permet ensuite lors de la séquence du procès qui constitue le dernier acte de devenir un plaidoyer où Stone, à travers Garrison, parle au spectateur et plus généralement au peuple américain lorsque Kevin Costner effectue un regard caméra sur ces mots : « ça dépend de vous ! ». En d’autres termes, le gouvernement vous ment, vous cache des choses et vous ne devez pas le croire.

Mais le plus important, ce qui fait de JFK un grand film et une œuvre toujours aussi puissante trente ans après sa production est à chercher du côté du projet de mise en scène d’Oliver Stone. À partir de Né un 4 Juillet, le cinéaste bascule dans une recherche expérimentale faisant dériver le classicisme de sa mise en scène, procédé que l’on retrouve dans JFK. Stone mélange tous les formats d’image possible (2.35, 2.39, 1.33), la couleur et le noir et blanc et aussi les différents formats de pellicule dans un montage absolument hallucinant, à tel point que l’on se demande si certaines images ont été prises sur le vif en 1963 ou si ce sont des images tournées par Stone. Le rendu est impressionnant d’autant qu’il est obtenu par un film techniquement irréprochable, entre le magnifique cinémascope et la superbe photographie de Robert Richardson. Ce qui permet non-seulement d’ajouter de la tension au film et de garder captivé le spectateur au milieu de ces longs dialogues bourrés d’informations, mais aussi de faire ressentir la paranoïa du film et de l’époque.

Car Oliver Stone peut se targuer d’être l’un des rares cinéastes à avoir réussi à retranscrire l’esprit des années 60, une période pleine de bouleversements intérieurs comme extérieurs pour le pays, majoritairement masculine (trois femmes ont un véritable rôle dans le film, dont Jackie Kennedy et l’excellente Sissy Spacek qui incarne la femme de Garrison) et progressivement prise de paranoïa après l’assassinat de Kennedy. Là où les réalisateurs du Nouvel Hollywood ont transposé cet aspect de la société dans le présent (Les trois jours du Condor, À cause d’un assassinat, Blow Out et Conversation secrète se déroulent tous à leur époque), Stone effectue un travail de reconstitution et de projection au sein de cette époque traumatisante pour les États-Unis qui voit les assassinats de figures telles que Martin Luther King et Robert Kennedy quelques années après celui du Président. Le tout à travers les yeux de Jim Garrison, qui représente la noblesse et l’innocence progressivement brisée du pays, ce que ne cache pas le cinéaste qui habille son personnage principal en blanc pendant la majorité du film, un blanc largement ressorti par les éclairages puissants et venus du ciel du chef opérateur (technique que l’on retrouve chez Scorsese dans Casino et chez tous les Tarantino depuis Kill Bill).

L’un des éléments déclencheurs de cette perte d’innocente et par conséquent de confiance envers le gouvernement, est un simple film tourné par une caméra 8 mm sur les lieux de l’assassinat. Le fameux film réalisé par Abraham Zapruder qui capte en direct le meurtre de Kennedy est au cœur du projet de mise en scène de Stone. D’abord parce qu’il est l’élément qui, à sa vision, persuade l’opinion publique d’un complot, et que sans ce film, le rapport de la commission Warren n’aurait sans doute pas été contesté. Toute l’idée de Stone est alors de mettre en scène tout ce que Zapruder ne montre pas ce fameux 22 Novembre 1963 (d’où les différents formats donnant l’impression aux images d’avoir été tournées en direct), pour non-seulement appuyer la thèse du complot mais aussi pour montrer ce qui se cache derrière la façade du gouvernement.

Bien que le film soit depuis brocardé par les anti-complotistes et récupéré par les complotistes, Oliver Stone n’en démord pas comme le prouve le documentaire JFK : L’Enquête en 2021 où à l’aide de documents déclassifiés depuis son métrage et de témoignages, il appuie la théorie développée par le film, tout en apportant des éléments supplémentaires (soutenant par exemple que Lee Harvey Oswald ne se trouvait pas dans le fameux immeuble lors des tirs). Quant à son long métrage, s’il est un grand succès à sa sortie et plébiscité par les Oscars (8 nominations dont meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure musique et meilleur acteur dans un second rôle pour Tommy Lee Jones), il ne repart qu’avec deux récompenses, toutefois évidentes puisqu’il s’agit du meilleur montage et de la meilleure photographie. Quoi qu’il en soit, JFK s’apparente comme étant le chef d’œuvre d’Oliver Stone, tout du moins l’aboutissement de son style.

JFK, réalisé par Oliver Stone. Écrit par Oliver Stone et Zachary Sklar. Avec Kevin Costner, Sissy Spacek, Tommy Lee Jones… 3h09.
Sorti en salles le 29 Janvier 1992.

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