Présenté au festival de Deauville en film d’ouverture mais aussi en compétition, Minari n’a rien à envier à son prédécesseur de l’édition 2019, Un Jour De Pluie À New York. Le film, vainqueur de deux prix à Sundance, s’inscrit facilement dans les codes des œuvres présentées, avec son propos social bien ancré dans un portrait culturel.
Pour la famille de David, coréen de deuxième génération dont les parents – plus précisément son père, Jacob – décident de partir s’installer dans l’Arkansas pour tenter leur chance en tant que propriétaires terrien·nes, cette tentative de nouvelle vie est aussi synonyme de déchirement. Un déchirement au sein du couple parental, tant leur vision de ce déménagement est opposée. Jacob, se persuade de pouvoir gérer une nouvelle exploitation agricole par lui-même et que cette dernière lui apportera succès et finances, tel que l’American Dream le promet. À l’opposé, Monica y voit un déracinement et une perte de repères, une avancée vers trop d’incertitudes. David, en bon fils sur lequel reposent les futurs espoirs familiaux – face à sa sœur Anne quant à elle réduite à sa condition -, voit ce couple s’entre-déchirer, et se fasciner pour cette nouvelle aventure qui lui réserve bien des surprises.

Dans ce combat classique entre l’idéaliste et la pragmatique, sentant bon les morales du rapprochement familial, de l’abandon du matérialisme face aux liens humanistes, Lee Isaac Chung choisit un ton léger, souvent enclin à la comédie, sans éloigner son récit d’une certaine dureté. L’irruption de la grand-mère, venue s’installer dans un microcosme où la tradition veut que l’on s’occupe de ses aîné·es, est l’occasion de se lâcher sur des blagues souvent lourdes – la petite vieille qui jure comme un charretier, toujours aussi efficace – mais qui ne réduisent pas la portée de l’image ou de la tragédie ambiante. Elle qui représente le poids des responsabilités, mais aussi une réflexion sur cette harmonie éphémère qui tout à coup peut basculer face à de mauvais choix ou des coups du sort, devient alors centrale, une complice indirecte de David, qui l’aide à observer, mais aussi comprendre ce monde qui l’entoure.
L’exploitation agricole étant au cœur du récit, l’enjeu majeur qui décide du destin de la famille, la réflexion sur l’homme face à la nature, son équilibre capricieux, se charge de sens par la mise en scène. En résultent des plans sur l’immensité des champs entourant le mobile home, faisant penser aux envolées déconcertantes de Terrence Malick – Les Moissons Du Ciel ne sont jamais bien loin – et montrant Jacob seul, face à ses obstacles. De choix n’impliquant autre chose que son labeur, il doit cheminer vers l’acceptation du point de vue de ses proches, du conseil des locaux·ales lui tendant la main, renouer avec celleux qui l’entourent et ne cherchent qu’à le chérir. Cette terre en jachère qu’il cherche à irriguer à tout prix est la source de son aveuglement, et c’est une fois encore la grand-mère, plus patiente et observatrice, qui parvient à faire pousser de son côté le Minari, cette herbe très prisée parmi les condiments coréens – message aux amateur·ices de la gastronomie de la presqu’île : vous aurez faim -. Un récit qui se charge souvent de morale religieuse, en montrant les aspects les plus extrêmes – ce voisin qui peut se mettre à prier dès que l’occasion survient, interprété par un Will Patton rare, et touchant de sincérité -, comme les plus simples, utilisant une vision de charité chrétienne certes naïve, mais qui se mêle parfaitement à la douceur du propos. Face à l’éphémère des choses, il ne s’agit pas tant de mettre sa famille à l’abri, mais de profiter de l’intensité de ses moments, et de choisir communément les avancées futures.
Minari touche par le réel de ses relations humaines et la justesse de son écriture. Lee Isaac Chung ayant grandi dans l’Arkansas et étant issu d’une famille immigrée, nul doute que ce qui est raconté ici emprunte fortement à sa propre histoire. Une sensation de vécu alors, qui ne nous quitte jamais et appuie le propos avec pertinence, dans les forces et les faiblesses de la narration. Une compétition qui démarre donc sous les meilleures augures, et met la barre bien haute en ce qui concerne les concurrents !
Les mots de Marwan : Épatant film d’ouverture du festival de Deauville sur une famille coréenne dans l’Arkansas pendant les années 80. Ayant tout pour être un cliché de Sundance, il réussit toutefois avec génie à éviter les écueils du genre. Minari saisit avec intelligence par son découpage tous les enjeux de cette famille qui doit se reprendre en main dans un nouveau lieu. Du surcadrage dans le mobil-home qui souligne l’emprisonnement de ses personnages dans une triste précarité, à la liberté sublime que dégage l’immensité des champs filmés en courte focale, Lee Isaac Chung en a sous la péloche et nous délivre une merveilleuse douceur.
Minari, de Lee Isaac Chung. Avec Steven Yeun, Han Ye-Ri, Will Patton… 1h55
[…] d’avenir peu prometteuses dans Holler, la désillusion de l’American dream dans Minari ou encore les pressions psychologiques dans The Assistant. Alors, quand une comédie arrive enfin, […]