Si partir l’été est une évidence pour grand nombre de personnes, certains décident de rester sur place, et en profitent pour faire le point. C’est là tout l’objet du cinquième long-métrage de Jonas Truebas, jeune auteur espagnol passé faire coucou au Festival de La Rochelle. Ici, il capture donc une errance estivale, le temps d’une quinzaine de jours marquée par les fêtes populaires madrilènes et les rencontres qui les accompagnent.
Eva approche donc des trente-trois ans et récupère l’appartement d’une de ses connaissances. Elle entend vivre ses vacances à son rythme, au jour le jour. Dès la première discussion avec la personne à qui elle emprunte le logement, on comprend le ton et le style du film. De longs échanges en plans-séquence sur des thèmes comme la culture, la société etc., une certaine connexion avec des cinéastes comme Eric Rohmer s’établit vite. D’ailleurs, on peut vite voir en Eva une relecture du personnage de Marie Rivière dans Le Rayon Vert du cinéaste de la Nouvelle Vague, mais en inversé ; la seconde voulant coûte que coûte quitter Paris alors que la première reste de son plein gré dans la capitale espagnole. La structure du récit est également similaire, empruntant au journal intime avec la démarcation des jours qui passent, tout en évoquant quelque chose d’universel.
Eva croise donc la route d’anciens amis, s’en fait de nouveaux, et les conversations s’enchaînent. L’un des thèmes principaux, donnant un aspect moderne à l’oeuvre pourtant basée sur des références anciennes à l’image de celle mentionnée supra, est évidemment la Femme. Le temps passe et une grande variété de sujets est abordée : le fait d’être mère, la séduction, les règles, … Tout ceci vient compléter le voyage intérieur du protagoniste, qui s’avère en réalité en quête de foi dans le quotidien, elle recherche une forme de magie dans la vie ordinaire. On la voit alors s’émerveiller devant des gens qui suivent et acclament une procession en l’honneur d’un saint, mais aussi lors du concert de Solea Morente quand la chanson fait particulièrement écho à son ressenti actuel. Le parallèle religieux n’est d’ailleurs pas anodin et irrigue tout le film en filigrane. Le titre original signifie “La Vierge en août”, et le personnage s’appelle Eva, nom de la première femme et pécheresse selon la Bible. Le fait de confondre l’idée virginale avec ce prénom corrobore à l’aspect moderne du fond, Jonas Truebas et Itsaso Arana (l’actrice principale et co-scénariste du film) lavent en quelque sorte l’image de la Femme, tout en jouant avec le médium cinématographique.

Car il s’agit aussi de parler de foi dans le cinéma, et dans la manière qu’il a de nous faire croire des choses. À ce titre, tout l’aspect réaliste sert ce propos, au même titre que la conclusion jouant sur l’iconographie de la Sainte Famille avec en prime un doute sur la situation finale d’Eva. L’irruption d’une voix-off au milieu de l’intrigue et la prise de conscience de l’écriture par le personnage de ses péripéties est un nouvel indice de ce jeu avec le spectateur, qui peut laisser perplexe malgré sa pertinence. On est alors complètement immergé dans le point de vue d’Eva, partageant ses troubles, ses coups de folie et sa vision du monde. Le montage est alors d’une grande fluidité, se permettant même une certaine irrévérence dans l’utilisation des changements de jour dont les panneaux de texte surgissent parfois au milieu d’une soirée, laquelle reprend dans la foulée comme si de rien n’était. Le travail du son est aussi des plus percutants, avec de vraies insertions dans la psyché du personnage et ses déconnexions du monde environnant. La complicité est totale, l’empathie bien présente, et l’on ne se lasse pas des minutes passées aux côtés de cette femme souvent vêtue du rouge de la passion et de l’amour.
Eva en août intervient alors comme un coup de cœur estival. C’est un film d’une grande fraîcheur, jouissant d’une écriture minutieuse et d’une dimension technique aboutie qui nous régale durant toute sa longueur. Itsaso Arana est radieuse et touchante dans son évolution, sa découverte d’elle-même, et est une révélation tant pour sa plume que son interprétation. On a là l’une des œuvres les plus justes de l’année, qui brille par sa simplicité et sa beauté. Idéal pour passer un mois d’août de qualité supérieure.
Eva en août de Jonas Trueba. Avec Itsaso Arana, Joe Manjon, Isabelle Stoffel, … 2h09
Sortie le 5 août 2020.
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