Si Yasujiro Ozu fait aujourd’hui partie des grands noms du cinéma japonais des années 30 aux années 60, c’est parce qu’il a su faire valoir au fil des années une œuvre aussi juste que rigoureuse, dont le message de rébellion a su éviter la censure en se cachant derrière les sourires narquois d’enfants malicieux tels qu’ils sont dépeint dans Gosses de Tokyo : un métrage aussi symboliquement riche qu’elle ne cesse d’émerveiller les différents cinéphiles s’étant déjà penchés sur la filmographie du cinéaste.
Près de 30 ans avant son renommé Bonjour, Yasujiro Ozu décide déjà de placer sa caméra à hauteur d’enfants et de filmer les aventures de Keiji et Ryoichi, les deux enfants de Chichi (interprété par Tatsuo Sato, déjà aperçu dans Chœur de Tokyo dans le rôle du professeur), un employé récemment installé dans la banlieue de Tokyo après y avoir trouvé du travail. Les aventures des deux frères consistent principalement à aller à l’école, chose qu’ils décident de ne finalement pas faire après s’être querellé avec des camarades de classe. Commence alors un apprentissage, hors milieu scolaire, des modalités de la réussite et de la hiérarchie qui en découle.
Comme toujours chez Ozu, le cadre est grandement réfléchi et permet aux spectateurs d’instantanément comprendre les différents enjeux et émotions d’une scène. C’est particulièrement flagrant dans la seconde partie du film pendant laquelle, subtilement, la caméra se place à hauteur d’homme, tout en laissant les enfants dans le champ, comme s’ils prenaient de l’importance au fil du récit, à mesure qu’ils acquièrent en savoir, en expérience. Cette expérience, elle est tirée des relations qu’ont les enfants entre eux, autant dans les conflits assez nombreux, que dans les rares amitiés qui voient le jour.

Pourtant, ce serait à tort de penser que la force du film d’Ozu provient de cette univers enfantin qui est déployé dans cette première partie. Certes, il est drôle de découvrir toutes les subtilités que ce monde offre : des enfants en uniformes qui ressemblent à de petits soldats, une monnaie faite d’œufs de moineaux, des jeux de pouvoir représentés par des mimes du don de mort et de résurrection… Mais là où le film tire son véritable intérêt, c’est dans sa deuxième partie qui questionne la subtilité de cet univers avec celui des adultes qui les entourent.
Cette deuxième partie, elle permet de remettre en question le rôle du père, et plus particulièrement le modèle qu’il semble tenir au sein de la famille. À mesure que la pellicule se déroule devant nos yeux, il semble perdre de l’importance et de son caractère hostile, arrivant même au niveau de la mère sotte, mais bienveillante, pertinemment placée dans le récit de cette manière afin de servir de clé de compréhension par rapport aux évolutions que connaissent les personnages.
Gosses de Tokyo se trouve être une œuvre à l’apparence sage mais au propos délicat, qui arrive à saisir toute la substance de son récit en n’en faisant pourtant pas une priorité dans sa narration. Assez loin de la complexité visuelle de ses précédents films, Ozu compose un film tendre envers des personnages bruts mais attachants. Le duo des deux enfants fonctionne ici excellemment bien et permet une fuite aussi drôle qu’intéressante qui permet d’explorer la thématique de l’éducation, mais surtout de l’héritage moral et social laissé par la société japonaise.
Gosses de Tokyo, de Yasujiro Ozu. Avec Tomio Aoki, Hideo Sugawara, Tatsuo Saitô… 1h40. Film de 1932, sorti en France en DVD et Blu-Ray le 6 novembre 2019