[CRITIQUE] The Witch : cauchemar ensorcelé

Des mythes occidentaux parcourent les époques et les générations, en mouvement quand il s’agit de métamorphoser le matériau d’origine pour lui donner un visage moderne.  À l’image de la figure de la sorcière, qui alimente quantité de récits de la culture populaire et a transformé son apparence au départ fatale en femme simplement ordinaire. On en oublierait presque que son imaginaire naît dans le folklore catholique et religieux. C’était sans compter sur Robert Eggers, qui avec The Witch vient remettre les pendules à l’heure.

Nouvelle-Angleterre, en 1630. William et Katherine, un couple de puritain, se fait bannir de sa communauté religieuse en raison de critiques virulentes. Non loin d’une forêt, la famille et ses cinq enfants décident de s’installer pour construire une ferme, vivre de récolte et de l’élevage de bêtes, loin de toute société. Soudain, la mystérieuse disparition de leur nouveau-né et la succession d’évènements étranges vont les amener à se dresser les uns contre les autres pour virer à la paranoïa.

Authentique horreur

Robert Eggers fait partie de cette génération de cinéastes avec Ari Aster, David Robert Mitchell, Trey Edward Shults, Jennifer Kent ou plus récemment Natalie Erika James (Relic) à s’attacher à un courant horrifique plus proche du drame, qu’au réacteur à secousses frissoneuses. Biberonnés par tout un pan du cinéma d’épouvante, ils en retirent les codes traditionnels pour les mettre au service de métaphores qui sous couvert d’imager avec une poésie noire leurs sujets, questionnent sur des thématiques sensibles et à la portée universelle. Qu’il s’agisse du deuil (Mister Babadook), de la maladie et la sexualité (It Follows), ou de l’extrémisme religieux comme repli sur soi (The Witch).

© UNIVERSAL PICTURES

On se trouve bien loin d’une marchandise cocaïnée à la Conjuring-Verse, qui convoque une réunion de vilaines bestioles de la culture chrétienne comme on rameuterait en dating un groupe de célibataires endurcis. The Witch ne joue pas la carte du bestiaire bien rempli et monstrueux, mais de références à l’horreur minimaliste et évocatrice (le corbeau signe de cataclysme, le bouc noir assimilé à Satan, la possession démoniaque…), sur le fil entre rationnel et apparition du surnaturel. Avec des dialogues qui fleurent bon l’anglais d’antan, des décors et des images tournées au naturel, Robert Eggers confère au métrage des allures de reconstitution historique immersive et des plus authentiques. Il n’y aurait plus qu’à imaginer un Secrets d’Histoire dans lequel Stéphane Bern aurait troqué ses châteaux et sa dorure moyenâgeuse pour une culotte de peau au contact de l’âpre campagne. En se souciant du moindre détail, du moindre costume, et s’adonnant à parfaire sa plastique (The Lighthouse, son second long-métrage est un superbe trip en noir et blanc), Eggers s’investit totalement et offre tout le confort pour qu’un spectateur désireux d’aventures et de peurs primitives plonge tête baissée dans ce piège ténébreux.

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Toute une question de sorcellerie

Parce que comme un vieil appât lancé en forêt pour attirer le gibier, le spectateur se fait prendre par les cornes du diable. La peur est environnante, elle prend quartier dans un recoin, puis petit à petit vient gangrener l’intégralité de l’écran. On sent une présence, un sentiment inquiétant qui se faufile, attendant l’entrebâillement d’une porte pour jouer son rôle de faucheuse. Quoi de mieux qu’une famille pieuse, absorbée par sa croyance en une religion qui leur fait totalement perdre pied ? Si ce n’est pour Robert Eggers que le fondamentalisme religieux inculqué par une Eglise ultraconservatrice est la vraie source du mal. Des personnes guidées par des dogmes et la parole du Christ, incapable d’aller à son encontre et de s’ouvrir sur le monde. Que pouvait alors la pauvre Thomasin de la disparition soudaine de son petit frère enlevé par une forêt bien trop mystérieuse ? Que pouvait-elle de la perte des récoltes agricoles ? Que pouvait-elle de la désagrégation de sa famille ? D’être juste une jeune fille à la sexualité naissante qui essaye de s’affirmer, s’extirper d’une soumission à Dieu, et qui représente tous les péchés d’un catholicisme extrême. Un père incapable de jouer son rôle de protecteur et désemparé face ce qui devient inexplicable par la foi, et une mère à la haine naissante. Bien facile pour des parents qui se laissent facilement envahir par la paranoïa, d’accuser leur fille d’être une sorcière comme partenaire de choix de Satan.

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La sorcière n’est pas celle qui avec son bâton poussiéreux et sa verrue sur le nez jettera un sort. Mais celle qui se nourrit de la souffrance des autres. Comme un virus venant infecter les dérives de la croyance, en se donnant corps et âme à une divinité, la folie démoniaque prendra le dessus. À être accusée d’être celle qu’on ne veut pas, on finit par le devenir. D’une incandescente Anya Taylor-Joy dans son plus simple appareil venue offrir un débarquement enflammé aux forces obscures dans le monde.

Non un véritable film d’horreur, mais film de peur terrifiant, The Witch est une plongée intense et radicale dans les origines du Mal. Celui qu’on voit, et celui qui ronge les hommes de l’intérieur. À la manière d’un médecin légiste, Robert Eggers vient examiner le berceau de l’épouvante et rappelle qu’il y a un commencement à l’horreur commerciale. Celui qui nait des peurs ancestrales.

The Witch, de Robert Eggers. Avec Anya Taylor-Joy, Ralph Ineson, Kate Dickie… 1h33.

Sorti le 15 juin 2016.

2 Commantaire
  • […] celui qui ne suivra la pensée unique de Dieu se verra contraint aux enfers. À la manière d’un The Witch de Robert Eggers, la véritable horreur n’est peut-être pas celle qu’on croit. L’homme face à son […]

  • […] comme un talent à suivre. Le naturalisme flamboyant de ses deux premières épreuves, The witch et The lighthouse en a emporté plus d’un·e, et il n’est que logique que […]

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