Jolies surprises concernant Lone Wolf, un film d’anticipation qui floute les limites entre vie privée et surveillance du Gouvernement. Un film maîtrisé de bout en bout si bien qu’on a voulu en discuter avec son réalisateur Jonathan Ogilvie.
Vous vous êtes inspiré de The Secret Agent de Joseph Conrad pour votre film mais en lisant son résumé il ne semble pas y avoir énormément de choses en commun, excepté les personnages et les actions qu’ils mènent. Comment avez-vous découvert ce roman et comment avez-vous travaillé cette adaptation ?
On voit de plus en plus dans l’actualité l’importance que peut prendre la surveillance. J’ai d’ailleurs fait un doctorat “The Cinematics of surveillance” et c’est ainsi que je me suis plongé dans ce monde et comment la surveillance pouvait s’immiscer dans la vie des gens, dans l’actualité mais aussi dans le cinéma. J’ai ensuite reçu un exemplaire du roman de Joseph Conrad et c’est ainsi que les choses se sont faites naturellement. Dans le roman les personnages sont surveillés par Scotland Yard à l’époque victorienne donc je me suis dit que je pouvais transposer cette idée de surveillance avec les technologies modernes.
Votre film se découpe en deux parties entre la première qui a un rythme assez lent et où on voit pas forcément où tout ça veut en venir puis la seconde qui passe à toute vitesse avec précision et où Winnie prend de plus en plus d’importance.
J’ai voulu faire un film en deux actes où l’on découvre d’abord Winnie comme un personnage secondaire avant de s’affirmer et de prendre de l’importance comme dans le film Alien par exemple. Le premier acte est exclusivement concentré sur Conrad son petit-ami jusqu’aux tragiques évènements qui vont la pousser à prendre les devants. Je ne pouvais pas faire un film classique en trois actes, ça n’aurait eu aucun sens ici.
J’ai été très impressionnée par le travail de mise-en-scène qui nous permet de nous plonger totalement. Comment avez-vous travaillé cet aspect entre les images au fish eye, celles quasiment brouillées des caméras de surveillance etc… ?
En fait nous avons tourné avec des caméras en 4K plutôt que d’utiliser des caméras de surveillance parce que comme ça nous n’avions pas les inconvénients techniques qui pouvaient survenir et nous pouvions maîtriser ce que nous filmions. Ensuite nous avons travaillé en post-production l’aspect de toutes ces images. Les scènes filmées dans la librairie ont été passées dans un magnétoscope pour qu’elles soient ré-enregistrées sur des cassettes. Je n’étais pas sûr du résultat que ça allait donner mais j’en suis très satisfait ! C’était d’autant plus intéressant au niveau du placement des caméras car les comédien·ne·s n’étaient quasiment jamais face cam donc quand iels faisaient une scène, il n’y avait pas de repères au sol ou quoi comme une vidéo surveillance n’est pas censée être préparée. Tilda Cobham-Hervey (Winnie) tournait une scène et ce n’est qu’au bout de la troisième prise qu’elle a découvert où se trouvait les caméras. C’est un challenge excitant pour les acteurs de ne pas savoir d’où ils sont filmés.
Justement, est-ce que le fait que les acteur·ice·s ne sachent pas où se trouvent les caméras leur donnait l’occasion d’improviser ou tout était vraiment écrit ?
Évidemment iels avaient une certaine liberté pendant les répétitions mais tout était bien écrit dès le départ. J’ai travaillé pendant des mois sur les dialogues donc je voulais vraiment que les acteur·ice·s les respectent. De mon expérience, les bon·ne·s acteur·ice·s suivent les dialogues et ne cherchent pas à les changer, c’est simplement un croquis pour elleux. Ceux qui veulent modifier les dialogues sont les acteur·ice·s moins expérimenté·e·s et plus nerveu·se·x.
Lone Wolf pose des questions concernant le concept de vie privée, où est-ce que ça commence et où ça s’arrête. Quel est votre ressenti sur cette question ?
Il n’y a plus aucune retenue de nos jours il y a des caméras de surveillance partout : dans les toilettes, la chambre… Pour moi c’est inconcevable que n’importe qui puisse désormais être espionné n’importe où. Cependant il y a des lois aujourd’hui qui permettent de surveiller des personnes suspectées d’appartenir ou d’être affiliées à des mouvements terroristes. Après tout le problème se pose concernant les droits de l’homme.
Cette question des droits de l’homme et de l’intrusion de la vie privée vous l’évoquez également car on a aussi bien d’un côté l’aspect intrusif de ces gens filmés à leur insu dans leur quotidien tout comme on a le frère de Winnie qui lui-même se filme au quotidien et poste ses vidéos. Quelque part, nous ouvrons nous-même la porte sur notre vie privée.
Je pense qu’il y a une distinction à faire entre la surveillance faite à notre insu et celle faite mutuellement lorsque Stevie poste ses vidéos sur internet. C’est assez paradoxal je trouve car la plupart des gens aujourd’hui ont donné leurs données personnelles à Facebook donc à partir de ce moment-là leur vie privée ne leur appartient plus. Les Australiens étaient plus en colère du fait qu’il y ait eu une fuite de données au DCNS (groupe industriel spécialisé dans la construction naval pour l’armée) en Australie que par Facebook qui connaît leur vie de A à Z. C’est un sujet passionnant sur lequel je ne suis ni pour ni contre mais c’est indéniablement un carrefour qui peut devenir dangereux.