Kirill Serebrennikov revient à Cannes avec La Fièvre de Petrov, 3 ans après Leto. Adaptation du roman d’Alexei Nikolav Les Petrov, la grippe, etc., le film s’annonce déjà comme l’un des plus déroutants, étranges et clivants de la compétition.
Qu’il est difficile de résumer La Fièvre de Petrov. On suit Petrov et Petrova, accompagnés de leur fils Petrov-junior. Petrov, c’est aussi le nom le plus donné en Russie. Désignés par leur nom de famille, nos protagonistes sont donc désindividualisés, ou bien, doivent pouvoir être n’importe qui. Ce sont des monsieur et madame tout-le-monde.

Or, Petrov a attrapé la grippe, et contamine sa famille. Le film se lance dans une succession de séquences où l’alcool et la fièvre s’allient pour provoquer des visions, des apparitions, des incursions oniriques au milieu d’instant de réalité. Serebrennikov aime casser la réalité installée dans son film par des incursions : dans Leto déjà, il avait besoin d’un personnage qui brise le quatrième mur, ou encore d’agrémenter ses séquences musicales par des dessins en surimpression.
Or, la fièvre, l’alcool, sont des éléments qui altèrent profondément notre perception du monde. La vue se trouble, la tête tourne. Le parti pris du film est de jouer sur une structure déstructurée, voire une anti-structure de film. On ne sait pas forcément où l’on va, ni d’où l’on vient ; ce qui a été, ce qui est, et ce qui sera ; de quel point de vue il s’agit, et si ce que l’on voit est vrai ou fantasmé.

Les séquences s’enchaînent donc, sans que l’on ne comprenne grand chose à leur cohérence. Pourtant, une à une, elles apportent des éléments narratifs. Allégoriques, elles veulent chacune montrer notre réel de manière écorchée. La société contemporaine se déshumanise, se désolidarise ; elle provoque lassitude, mais aussi colère. Les personnages de la Fièvre de Petrov sont en effet tous en colère ou quasi-fou, irrationnels. Ils ne parlent pas, ils hurlent ; ils ne se déplacent pas, ils déambulent. La fièvre gagne peu à peu tout le monde. Serebrennikov serait-il nihiliste ? Pessimiste ? Peut-être pas totalement, car il célèbre aussi l’amour, la vie et l’entraide, non sans une certaine noirceur. Ce qui est certain, c’est sa dimension critique : les rêveries des Petrov marquent souvent leur volonté d’agir contre le monde pour le changer, tout en montrant la solidité intrinsèque de ce monde. Car pour le changer, il faudrait des “super-pouvoirs” comme dans la séquence de la librairie, où Petrova éclate la figure d’un ivrogne violent. Les rêveries sont aussi des fantasmes de puissance d’agir refoulée.
Impossible de conseiller ou de déconseiller La Fièvre de Petrov. C’est un film dans lequel il faut se laisser aller, aimer s’y perdre et aimer que l’on nous perde. L’image – la photo y est sublime dans ses tons verdâtres, et ses contrastes – s’imprègne petit à petit en nous ; on peut laisser le film, ou pas, planter une graine en nous. Et si on la laisse grandir, peut-être un jour le film parviendra-t-il à nous cueillir… Est-ce la marque d’un grand film ?
La Fièvre de Petrov de Kirill Serebrennikov. Avec Semyon Serzin, Chulpan Khamatova, Yuriy Borisov… 2h25.
Sortie en France prévue le 1er décembre 2021 (Festival de Cannes – Sélection Officielle en Compétition).
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