On l’aura découvert récemment avec l’audacieux Le chat potté 2 et les rafraîchissants Bad guys : Dreamworks en a encore sous le capot. Le studio d’animation, qui s’essaie enfin à des styles hybrides montrant sa volonté de s’offrir une nouvelle jeunesse, a en l’espace de 25 ans créé autant de surprises que de déceptions. Si on l’associe automatiquement à Shrek, poule aux œufs d’or inattendue qui lui a valu notoriété et aisance financière, Dreamworks a cette capacité de proposer des films originaux et divertissants (Madagascar, Kung fu Panda, et on ne les remerciera jamais assez d’avoir permis à Wallace et Gromit de tracer leur route vers le grand écran…) et de capitaliser dessus jusqu’à l’outrance. Des suites de Shrek – à partir du troisième volet – ou autres licences pré-citées aux tentatives de surfer sur des tendances du moment (en témoignent l’infect Baby boss, le spin-off sur Les pingouins de Madagascar…), tout n’est pas du niveau de la trilogie Dragons, et l’on espère que le regain d’originalité de leurs deux dernières propositions augure du bon pour l’avenir. Occasion pour nous de revenir sur leurs débuts, qui déjà nous laissaient rêveur·ses. Quelques années avant Shrek, et alors que Fourmiz se faisait bouffer par 1001 pattes, un film d’animation traditionnel, embrassant son récit-fleuve avec poésie et maîtrise, débarque sur nos écrans : Le prince d’Égypte.

Évitons de vous faire l’affront de vous résumer l’histoire de Moïse. Le récit du père des divers courants chrétiens, gardien et messager des tables de la loi contenant les dix commandements, s’est vu maintes fois adapté, et fait surtout partie, que nous soyons de culture religieuse ou pas, d’un imaginaire commun. En ouvrant le livre de l’Exode, on comprend pourquoi le cinéma s’est intéressé dès ses balbutiements – la première adaptation, La vie de Moïse, date de 1909 ! – à l’histoire du célèbre Hébreu. L’Égypte des pharaons, ses pyramides et temples grandiloquent·es, l’échappée d’un peuple vers la terre promise, des plaies qui s’abattent tels des actes divins, la mer rouge qui s’ouvre devant les bras levés du prophète, le destin de deux frères que la tragédie oppose : tout est une promesse cinématographique, tant scénaristique que visuelle. Nul besoin d’avoir une quelconque croyance pour voir le péplum absolu qui se cache derrière la mythologie biblique, et les épreuves de mise en scène que cela comporte. Si la double-prouesse de Cecil B. DeMille, en 1923 et 1956, est indépassable, l’animation reste un bon compromis pour donner une nouvelle naissance au récit épique proposé par l’Ancien Testament. C’est Dreamworks, avec Brenda Champan, Steve Hickner et Simon Wells aux manettes, qui relève le défi.

Les moyens sont loin d’être moindres pour les besoins de cette adaptation. 70 millions, budget confortable pour mêler dessins à la main et animation par ordinateur, offrant dès les premières images de cette sublime Égypte, accompagnée d’une prière chantée par les esclaves hébreux, les lettres de noblesse du studio. La bande originale signée Hans Zimmer emporte directement : Deliver us, un cri étouffant du peuple qui demande à son dieu pourquoi il l’a abandonné·es, en mêlant une instrumentation riche et des chœurs forts. À l’écran, nous voyons la flamboyance de l’empire égyptien disparaître à mesure que la caméra s’approche du sol pour se mêler à la sueur et au sang des esclaves, réelle main-d’œuvre à saluer des merveilles que nous venons de contempler. Rien ne nous est épargné, des corps pliés sous le coup des fouets à la cruauté décomplexée de ceux qui les tiennent, jusqu’au discours de Sethi, esclave lui-même d’un système que ni lui ni Ramsès, ayant pour sa part conscience de la souffrance des esclaves, ne remettent en question. Par un montage alterné, nous voyons l’enfant Moïse placé dans son berceau flottant, remontant le courant du Nil pour rejoindre ses parents adoptifs, et devenir le Prince du peuple qui opprime les sien·nes. Une narration quelque peu expéditive, bien que parfaitement lisible, accélérant les événements pour se concentrer sur les relations entre les personnages, fonder les liens entre Moïse et Ramsès, pour que nous ressentions le déchirement interne de notre héros lorsqu’il apprendra la vérité sur ses origines. Dans Le Prince d’Égypte, tout est question de choix, pour que le récit-fleuve de l’Exode puisse tenir en 1h30. Les montages alternés que proposent les passages chantés permettent de faire passer les informations, comme par exemple les sept plaies, qui s’exécutent en quelques minutes, alors qu’elles sont centrales à l’histoire, et sont censées montrer l’affaiblissement du peuple égyptien, de ses ressources (l’eau changée en sang, les récoltes détruites par les sauterelles, etc.) pour aboutir à la décision de Ramsès de laisser partir les hébreux vers la Palestine. Un choix qui peut aussi résulter en une volonté de ne pas trop alourdir un ton déjà très sombre, notamment lorsque la plaie ultime, la mort des premiers nés, pouvait éloigner encore plus un très jeune public déjà peu ciblé par le métrage.

Le contre-pied s’avère salvateur, tant ce qui est appuyé à la caméra l’est fait avec soin. Les dilemmes sont compréhensibles, et le récit, bien que rapide, permet d’appréhender les enjeux avec facilité. Des grands moments, on en retient la scénographie, tant l’animation permet de jouer avec le grandiose. L’ouverture de la mer rouge, si elle ne peut qu’être semblable à celle que notre mémoire associe immédiatement à Charlton Heston, reste un immense passage où, une fois encore, la partition de Zimmer et la direction artistique se mêlent pour nous faire frémir d’émotion. De cet Exode, on ne verra que la moitié, le film arrêtant sa course sur Moïse descendant du Mont Sinaï armé du Décalogue, devant un peuple attendant la parole divine. Un choix de conclusion qui galvanise, reste dans cette volonté de raconter une fuite vers la liberté, là où dans les écritures, les hébreux·es se sont déjà détourné·es du divin, le flanc de montagne devenant le temple d’une nouvelle idole, le Veau d’or, et le théâtre d’orgies païennes, donnant un nouveau défi à Moïse qui doit récupérer son statut de prophète. Difficile d’ajouter cet arc à une narration dense, et qui a déjà rempli bien des exigences. Dans son adaptation de 2014, Ridley Scott fait également le choix de ne pas traiter cette défiance. La raison en est simple, tant Exodus : gods and kings ne cherche jamais à justifier ses caractères fantastiques par l’intervention divine, mais relativise chaque élément avec une réalité scientifique, notamment dans l’exécution des plaies, traitées telle une catastrophe naturelle. Si Le Prince d’Égypte embrasse bien plus le caractère divin de son récit, il y a pourtant une piste, jamais exploitée dans la diégèse, que l’on remarque dans un détail de production : le choix de demander à Val Kilmer de doubler les voix de Moïse et de Dieu. Folie de l’homme victime de visions ou réelle apparition divine ? Le film semble prendre la piste du divin, mais comme toute mythologie, les interprétations peuvent être nombreuses.

Fidèle au récit qui fait le lit de nombre de religieux·ses, Le Prince d’Égypte en synthétise les essentiels cinématographiques cités en introduction. Tragédie familiale et grandiloquence visuelle sont au rendez-vous, dans un péplum qui référence autant les précédentes adaptations qu’elle se distingue par sa propre force, notamment musicale. When you believe, autre titre-phare du métrage, se la joue Disney avec sa logorrhée sentimentale, mais ses arrangements bien plus riches l’amène hors des sentiers pop. Film idéal pour illustrer les cours de catéchisme qui veulent encore employer les mythes de l’Ancien testament, il sied également aux païens que nous sommes, tant son aventure peut être universelle.
Le prince d’Égypte, de Branda Chapman, Steve Hickner, Simon Wells. Écrit par Philip LaZebnik. Avec les voix de Val Kilmer, Ralph Fiennes, Michelle Pfeiffer… 1h39
Sorti le 16 décembre 1998