Créée en 2010 par Neil Cross, la série Luther part d’un postulat simple et pourtant audacieux : inventer un détective s’inspirant autant de Columbo que de Sherlock Holmes pourchassant de jour comme de nuit les pires sadiques peuplant les rues de Londres. Déjà connu à la télévision pour ses rôles de Stringer Bell dans l’excellente The Wire ou encore Charles Miner dans The Office, c’est Idris Elba qui obtient le rôle et enfile le manteau et la cravate du DCI John Luther. La série devient immédiatement un succès, reconnue pour la qualité de son écriture et l’alchimie de ses personnages. Elle est adaptée dans de nombreux pays dont la France et s’accorde même une suite en long-métrage : Luther – Soleil déchu.
John Luther est policier à la section criminelle de la ville de Londres. Alors qu’il parvient à arrêter un meurtrier d’enfants, l’un de ses choix moraux et son obsession pour les victimes à sauver le poussent sur une trajectoire dépressive et autodestructrice. Ne restent de lui qu’une intelligence observatrice mue par le désir d’arrêter les meurtres violents et la quête insensée de vouloir sauver un mariage qui lui échappe. Alors qu’il s’empare de l’affaire Alice Morgan, il s’entraîne dans une spirale infernale.

La série Luther – 2010/2019
Avec seulement une vingtaine d’épisodes sur neuf années, répartis en cinq saisons, la série Luther fait partie de ces productions de la BBC qui se veulent aussi qualitatives que parcimonieuses. On pense notamment à la brillante Sherlock de Mark Gatiss et Steven Moffat. Face au flot incessant de séries policières qui pullulent sur le petit écran chaque année, Luther parvient à se distinguer par deux éléments majeurs. Le premier est un casting au cordeau où Idris Elba (Luther) et Ruth Wilson (Alice Morgan) jouent au chat et à la souris dans une grâce alchimique qui plaît à la rétine. Le second, et non des moindres : l’écriture de Neil Cross qui allie précision et fraîcheur à des intrigues sans cesse surprenantes, poussant le curseur du morbide en dehors des sentiers battus par le genre.
Chez Luther, pas de crimes simples et intéressés, le détective poursuit le grand combat du bien et du mal dans sa forme la plus sombre. D’un tueur cannibale à celui s’inspirant des mythes londoniens, la série nous plonge dans un bouillon purulent et poisseux qui ne manque pas de nous faire sursauter et vérifier que nos portes sont bien verrouillées avant d’aller nous coucher. Jack l’éventreur et autres monstres humains peuplant les fameuses ruelles sombres de Londres trouvent dans cet univers un pendant très actuel. Soutenus par un rythme maîtrisé, les épisodes égrainent les enquêtes sans oublier le fil rouge de la descente aux enfers de leurs personnages plongeant leurs regards dans un abîme qui les regarde en retour. Malgré des saisons parfois inégales entre elles et quelques facilités de rebondissements, la série se construit au fil des années une petite communauté de fidèles qui attendent avidement les nouvelles aventures de l’enquêteur acharné et de son aura mortifère.

Luther : Soleil Déchu – 2023
Annoncée en 2021 par le géant du streaming Netflix, la suite de la série répond à une attente d’une partie de sa communauté aussi bien qu’à la volonté de son acteur principal qui ne manque pas une occasion de partager son amour du personnage. Quittant le format sériel pour celui du long-métrage, Luther reprend son récit là où la série y trouve une fin plus qu’honorable. À l’heure du bilan, force est de constater que si cette suite coche religieusement toutes les cases de la check-list studieuse de son aînée, il en oublie peut-être le plus important : l’âme et l’esprit.
Réalisé par Jamie Payne (The Hour, The Alienist..) mais toujours avec la plume de Neil Cross, le long-métrage voit une nouvelle fois Idriss Elba aux prises avec un psychopathe incarné par Andy Serkis. Pour “l’aider” dans sa tâche, il retrouve Dermot Crowley dans le rôle de l’infatigable superviseur Martin ainsi que Cynthia Erevo comme autre enquêtrice sur l’affaire. Un casting reluisant qui incarne une fois encore avec justesse les différents personnages. On peut cependant regretter la perruque d’Andy Serkis (déjà vu sur la tête de Pedro Pascal dans Wonder Woman 1984) lui donnant un petit air de présentateur météo sur le retour. Pourquoi ne peut-on pas dire que ce retour est un succès ?
Premièrement à cause du cahier des charges de la plateforme. De l’aveu même du scénariste, Netflix n’a pas goûté la violence de son premier jet et lui a demandé de revoir sa copie pour en expurger une partie de l’aspect horrifique qui fait le sel de la série. Cela se ressent à l’écran, où malgré des tableaux macabres impressionnants, la notion de malsain se fait plus fade et cède aux sirènes des standards du catalogue. La performance d’Andy Serkis contrebalance cet écueil de justesse, mais n’empêche pas notre esprit de sentir les coups de patines. Le second échec du métrage est celui de ne pas impliquer ses personnages. Tout au long de cette histoire, John Luther n’est écrit que pour continuer à subsister sans évoluer ou régresser. Si bien que, référence à la dernière saison mise à part, l’on peut inclure ce récit entre n’importe quelle saison de la série sans en bouleverser la trame. Un manquement qui tend à rendre le film oubliable et qui s’explique par la volonté de ne pas perdre les nouveaux venus de Netflix, à moins qu’il ne s’agisse d’une volonté de poursuivre l’exploitation du personnage sans nuire à une œuvre sérielle autosuffisante. L’enquête est ouverte.

En conclusion, Luther reste aujourd’hui encore l’une des productions de la BBC les plus impressionnantes par son ambiance poisseuse et sombre. On ne saurait que trop vous recommander son (re)visionnage, au risque d’éveiller chez vous craintes et inquiétudes une fois le soleil couché. L’adaptation filmique, quant à elle, se révèle dispensable pour la continuité de l’histoire de l’enquêteur torturé. Elle ne doit être prise uniquement que pour ce qu’elle est, une enquête subsidiaire qui préserve pour quelques heures supplémentaires notre envie de retrouver Idris Elba et son manteau iconique avant de voir se coucher au loin un soleil déçu.
Luther, par Neil Cross, avec Idris Elba, Ruth Wilson, Paul McGann, Warren Brown,…
5 saisons depuis 2010
Luther – Soleil déchu, de Jamie Payne, par Neil Cross, avec Idriss Elba, Cynthia Erevo, Andy Serkis, Dermot Crowley…
Sortie le 10 Mars 2023