Les Proies (2017)

À la manière de Virgin Suicides, Sofia Coppola nous présente dans les premières minutes des Proies un environnement ultra féminin où la féminité ne cache plus le désir de liberté mais devient protectrice, maternelle. Le tout s’oppose à la masculinité du personnage de Colin Farrell, violente et représentée par le contexte de guerre de Sécession. Il y a quelque chose qui tient de l’inévitable dans ce système matriarcal mis à mal par un seul homme et ce faisant, Coppola utilise les subtilités de ces tragédies emmêlées pour explorer le désir féminin sous toutes ses formes. Cela se révèle avec le personnage interprété par Elle Fanning, jeune fille trop précoce pour son âge qui tente de s’intéresser aux choses de l’amour, ce qui n’est pas au goût de son amant. Fanning excelle dans ce registre et il est intéressant de voir la réalisatrice lui confier ce rôle non différent de celui de Kirsten Dunst dans Virgin Suicides, cette dernière se retrouvant dans un rôle plus sévère mais non moins tragique.
L’esthétique aseptisée du film devient trompeuse ; la pureté et l’innocence ne sont que de façades et, intelligemment, la mise en scène de Coppola nous place dans le vécu du seul personnage masculin de manière à retourner l’idée de prédateur. La sororité dans les Proies est, contrairement aux précédentes productions de Sofia Coppola, protectrice et douce, en totale opposition à la brutalité de la guerre de Sécession pendant laquelle le film se déroule. Ses personnages féminins sont blondes, innocentes et virginales ; elles représentent l’idéal de la féminité aux yeux des hommes. Il est donc intéressant de voir l’ultime représentation de la masculinité qu’est le personnage de Colin Farrell, violent, manipulateur, arrogant et convaincu d’avoir toutes les cartes en main, vanter cet idéal pour mieux le détruire. Cette manière de tout filmer à travers son regard contribue également à humaniser et complexifier ce soldat qui, loin de la figure solaire et quasi-divine de Clint Eastwood dans la première adaptation de 1971, ne devient qu’un homme ordinaire, pris dans son propre jeu et emmailloté dans son égo. Ce changement qui se révèle intéressant à bien des égards, sacrifie néanmoins sur son autel le rythme du film, lorsque Coppola cherche à créer du suspens là où tout est limpide dans les yeux de l’audience.
Mal-aimé de la filmographie de sa réalisatrice, Les Proies n’en reste pas moins un film fascinant explorant la féminité et le désir féminin par, encore et toujours, le regard masculin. L’évolution de la filmographie de Sofia Coppola est fascinante car elle révèle de par les manières dont ses sujets fétiches sont abordés à chaque film, les étapes même de la vie d’une femme : le calme seulement apparent de l’enfance et ensuite, la rage rebelle de l’adolescente. Il semble logique donc la femme adulte succède à ces visions.
On the rocks (2020)

Un des reproches les plus fréquemment faits à l’encontre de Sofia Coppola est l’absence de diversité dans ses films. Sa caméra s’attarde le plus souvent sur des femmes blanches, blondes et hétérosexuelles mais ce choix n’est pas anodin lorsque l’on comprend dans On the rocks que la réalisatrice ne cherche pas à créer une vision universelle de la féminité mais une à laquelle elle s’identifie, surprotégée, enfermée et ennuyée. Ayant pour actrice principale Rashida Jones, On the Rocks présente pour la première fois un personnage de Sofia Coppola hors de sa bulle et s’apparente sans doute à son film le plus universel de sa filmographie, non pas dans la diversité de son casting mais dans les sujets de la vieillesse et du temps qu’elle passe qu’elle aborde avec son flegme caractéristique et une formidable touche d’humour.
Tout semble être plus ancré dans la réalité dans On the rocks ; l’ennui, certes moins palpable est plus compréhensible et permet à Sofia Coppola d’explorer la maternité et la vie domestique du point de vue des femmes. Rien que la scène d’introduction en dit long sur le reste de l’œuvre. Un couple se marie et fait l’amour en dispersant leur vêtements au sol, vêtements que la femme ramasse. La déception semble être héritée et le tout permet à Bill Murray de briller dans ce rôle de père playboy ayant fait passer son bonheur avant sa vie de famille. On ne peut s’empêcher de ressentir la peur palpable du personnage de Rachida Jones, condamné implicitement à être délaissé avec l’âge. Le film reste assez comique et joue sur la drôlerie des situations dans lesquelles père et fille se retrouvent au fil de leur enquête mais il y a du défaitisme derrière cet humour, celui de la femme au foyer peu à peu abandonnée par son mari.
Bien qu’éloigné des affres traditionnels de Sofia Coppola, On the rocks apparait comme un essai intéressant, théorisant sur une féminité moins édulcorée et plus ancrée dans le réel. Divertissant et imparfait, le film semble toutefois promettre une suite plus mature dans la filmographie de la réalisatrice avec son très attendu Priscilla, censé sortir en fin d’année.
Les Proies écrit et réalisé par Sofia Coppola d’après le roman éponyme de Thomas P. Cullinan. Avec Nicole Kidman, Kirsten Dunst, Colin Farrell. 1h33
Sorti le 23 juin 2017
On the rocks écrit et réalisé par Sofia Coppola. Avec Rashida Jones, Bill Murray, Marlon Wayans. 1h37
Sorti le 2 octobre 2020