De ses origines mythologiques à sa consécration publique dans le roman Dracula de Bram Stoker, le vampire est une figure maintes fois abordées et qui ne cesse d’être captivante pour le spectateur. Pour son premier long-métrage, My Heart Can’t Beat Unless You Tell It To, Jonathan Cuartas s’empare de la créature et en fait la métaphore de la dépendance au sein d’un cercle familial captif. Abordant l’horreur sous un aspect plus psychologique que terrifiant, le réalisateur propose une vision du vampirisme qui a rarement aussi bien porté son nom.
Dwight et Jessie vivent sous le même toit que leur jeune frère, Thomas. Condamné à rester enfermé dans sa chambre le jour et à se nourrir de sang la nuit venue, Thomas souffre d’un mal que son frère et sa sœur ne peuvent soigner, mais pour lequel ils peuvent lui venir en aide. Lui apporter le sang frais de victimes isolées et le protéger de l’extérieur est le quotidien de Dwight et Jessie, mais à quel prix ?
Lorsque l’on pense vampire, les premières images qui nous viennent sont celles de Gary Oldman séduisant Winona Ryder grâce à son hypnotisme vampirique (Dracula de Francis Ford Coppola), ou celles des vampires de Blade de Stephen Norrington dont la vigueur n’égale que la force de Wesley Snipes, en passant par les vampires séduisants et charismatiques d’Entretien avec un vampire d’Anne Rice. Dans My Heart Can’t Beat Unless You Tell It To, il faut oublier cette image de la créature puissante et implacable, puisque Jonathan Cuartas lui donne les traits d’un jeune homme maladif à l’esprit fragile, au bord de la fracture. Cette incarnation réside dans la volonté du réalisateur de changer la métaphore du monstre. Là où auparavant, il représente la tentation et la soif de pouvoir, il endosse ici les traits de la maladie et de la dépendance. Thomas ne peut vivre sans l’aide de sa famille et leur impose, bien malgré lui, le fardeau d’une existence centrée sur la sienne. Comment vivre une vie “normale” lorsque chaque jour se transforme en sacerdoce pour Dwight et Jessie, eux aussi condamnés à l’enfermement dans une routine meurtrière nécessaire à la survie de leur frère ?
Cet enfermement, Jonathan Cuartas le travaille dans la composition de ses plans. Dans la maison aux vitres couvertes, les personnages sont suspendus dans le temps dans un intérieur défraichi, comme arrêté au jour où Thomas est devenu un vampire. Le sur-cadrage permet d’accentuer cet effet de boite duquel aucun ne peut sortir. Les séquences extérieures bénéficient elles aussi du même traitement et les personnages n’observe le monde qu’au travers de vitres, rappel cruel qu’il existe, mais qu’ils ne peuvent y appartenir. Cette vie captive pèse sur les deux frères qui aspirent à la liberté. Sortir devant la maison et rencontrer des gens pour Thomas, s’enfuir loin de cette responsabilité et trouver quelqu’un avec qui parler pour Dwight. Des désirs qui semblent impossibles pour les deux tandis que Jessie, dont l’esprit est enserré dans la préoccupation de maintenir son frère en vie, s’est privée de sa propre vie.
Au-delà des sans-abris dont elle consomme le sang, la maladie de Thomas aspire la vie de ses proches. Une situation dont personne n’est responsable, un besoin vital qui ne supporte aucun compromis, mais qui est le vecteur d’un mal-être grandissant dans la famille s’extériorisant chez Dwight dont chaque élan d’humanité est sévèrement puni par le rappel à leur réalité. Une métaphore dans laquelle celles et ceux qui connaissent la dépendance d’un proche ne peuvent que s’identifier. En plus de sa mise en scène léchée, My Heart Can’t Beat Unless You Tell It To est servi par une belle interprétation du trio d’acteurs Jesse R. Brown, Patrick Fugit et Anthony Pedone, chacun tenant un registre particulier contribuant à aborder les différents aspects de la dépendance et de son accompagnement. En filigrane, Jonathan Cuartas imprime une question à laquelle chacun de nous peut-être amené à répondre : Que serions-nous prêts à sacrifier pour celles et ceux que l’on aime ? Nos vies ? Celle des autres ? Notre humanité ?
Violent sans être inutilement graphique, intense sans sombrer dans le pathos, My Heart Can’t Beat Unless You Tell It To ré-exploite les codes de l’horrifique et du vampirisme pour questionner l’humanité face à la dépendance. De monstre à malade il n’y a qu’un pas que franchit Jonathan Cuartas dans un premier long-métrage qui dénote déjà d’un talent certain que l’on espère le voir confirmer par la suite et qui a le mérite de détoner dans un traitement de l’horreur actuel qui manque de renouvellement.
My Heart Can’t Beat Unless You Tell It To réalisé et écrit par Jonathan Cuartas, avec Jesse R. Brown, Patrick Fugit, Anthony Pedone… 1h30
Sorti le 28 Juillet 2020