Avec ses deux premiers westerns, Sollima monte une tension crescendo jusqu’à un Dernier Face à face des plus ravageurs et techniquement impressionnant. Son cinéma à la fois coulant dans la veine italienne de l’époque, politique jusqu’au bout des doigts a tout pour marquer dès le premier visionnage. Œuvres plus complexes que la simple idée du western italien classique, ses films sont la marque d’une part d’auteur·ices engagé·es, qui rehaussent un genre en perdition, pour bâtir une vision propre des affrontements de l’Ouest qui font écho à une situation de l’Europe des années 60. Saludos, hombre, troisième film de ce tryptique de Sollima, vient conclure l’arc du cinéaste dans le genre avec moins de virtuosité mais toujours autant de dynamisme.
Si Saludos, hombre est sans doute le moins connu des trois westerns du cinéaste italien, c’est car il passe un peu par dessus l’épaule, réalisé sans conviction profonde ou du moins, en se résignant déjà face à ses déconvenues. Un budget moins confortable, quelques bouts de ficelle qu’on imagine traîner sur le sol et qui rattachent les morceaux de pellicule, le soin accordé manque de minutie. Changement de producteur (exit Alberto Grimaldi), changement de scénariste (exit Sergio Donati), deux unités qui ne sont pas des moindres dans la création artistique et la continuité d’une œuvre. Même au niveau de la composition, Bruno Nicolai remplace Morricone, alors que ce dernier y a participé. Cette fin de tryptique offre une fausse suite à Colorado, là où Le Dernier Face à face proche thématiquement mais à l’écart au niveau de ses personnages, montre une vision désabusée, pessimiste et noire de l’être humain et sa transformation dans l’acte barbare. Radiographie d’une violence à l’état pur.

Cuchillo Sanchez, le jeune péon mexicain est ici de retour, dans la quête d’un trésor pour financer la révolution mexicaine. Dès les premiers paroles du générique « La révolution est en marche » Sollima inscrit son film dans un contexte. En figure de fond et imagée dans Colorado et Le Dernier Face à face, elle prend tout son sens et devient le terrain de l’affrontement. Ou plutôt d’un sentiment de liberté totale, bien plus qu’une révolution décortiquée dans chacun de ses recoins politiques. La chasse à l’homme de l’américain face au mexicain est plus grande, bien plus imposante dans ses actes. Elle reflète un sentiment de révolutionnaires qui ne croient plus en leur espèce, se battent pour elleux même, font peu de place à un avenir prospère, et sont plus attiré·es par l’appât du gain qu’une stabilité des relations. En trois films, trois manières de traiter son genre politique, qui dans leur style vont raconter le combat de l’être d’en bas contre une puissance qui avait tout pour être invincible et inaccessible. Cuchillo qui se révèle au fil du récit de Colorado comme le personnage principal, devient malgré lui dans Saludos, hombre l’étendard d’une révolte face au capitalisme Yankee.
Pourtant, qui voudrait mettre sur les épaules d’un bon à rien, d’un lanceur de coûteux un brin peureux, voleur, qui n’aime pas la violence, et plus occupé à se sortir de péripéties peu avantageuses, l’emblème d’un renversement de l’ordre établi ? De ses frasques et de son sens de la tchache inné, Cuchillo et sa capacité a toujours s’en sortir, entraînent une dose d’humour au milieu de la gravité des actes. Humour bienvenu lorsqu’il glisse des sourires au milieu de deux coups de revolvers, mais parfois mal dosés. De même, Sollima met en scène trop de personnages pour le propre bien de son récit, ce qui empêche un développement construit et intéressant de chacun deux. Le regard sur Dolores (femme de Cuchillo), s’il est sûrement témoin d’une époque, laisse un peu à désirer. Constamment en train de se faire berner par le jeune mexicain, dans un jeu de chat et la souris, elle revient à la charge et se défend lorsque on touche à son homme, alors même qu’il n’en a semble-t-il pas grand chose à faire. Cuchillo est un personnage étrange, difficilement identifiable et ambigu. Jamais on ne sait ce qu’il pense vraiment, ce qu’il est capable de faire. Est-il le mieux placé pour retrouver un butin de plusieurs milliers d’euros pour réellement financer la révolution mexicaine ? Lui qui n’est pas le porteur des mêmes idéaux politiques que son codétenu Ramirez. Il n’y a alors qu’un pas pour qu’il prenne fuite avec l’argent.

Une sorte d’alter ego de Sollima, un petit être sorti de nulle part, qu’on regarde de haut par les puissants déjà bien installés. Mais surtout, qui a compris comment fonctionnait le western, son énorme force évocatrice, qui n’hésite pas à être à contre courant du classicisme américain. Avec une patte et une personnalité, les grandes choses sont à la porter de tous. Le Western illustre un esprit combatif, un engagement politique, un terrain d’expressions cinématographiques saisissantes. En trois films, la boucle est bouclée, le genre est trituré, l’empreinte de Sollima est imprégnée.
Saludos, hombre écrit et réalisé par Sergio Sollima. Avec, Tomás Milián, John Ireland, Donald O’Brien… 2h.
Sorti le 6 août 1969.