Réalisateur inhérent à la Nouvelle Vague japonaise, Masahiro Shinoda livre avec Silence (1971), la première adaptation du roman historique de Sh?saku End?, illustrant les différents questionnements religieux des missionnaires jésuites dans le Japon du XVIIème siècle, lors des persécutions résultant de l’interdiction de pratiquer le christianisme. Présenté en compétition au Festival de Cannes de 1972 et ayant remporté le prix Mainichi du meilleur film, le métrage de Shinoda permet, 45 ans avant le récent film de Martin Scorsese, une première introduction sur le statut particulier que possède la religion au pays du Soleil-Levant et l’histoire violente qui en découle.
Si Fleur Pâle (1964) et La Guerre des espions (1965) restent sûrement les essais les plus connus et reconnus du metteur en scène, il serait pourtant dommage de passer à côté de Silence, le film permettant de plonger instantanément dans une époque mais aussi dans l’élan de violence caractéristique qui a touché ces croyants clandestins, aux noms de Rodrigo et Garrpe dans le récit. À peine arrivés de Macao illégalement, ils doivent déjà fuir dans les montagnes afin d’échapper à leur détracteurs. Masahiro Shinoda profite de cette première incursion pour filmer un Japon tout en contrastes, tout en couleurs, dans un cadre sublimant à chaque instant des paysages à la taille phénoménale. Ainsi, par sa narration visuelle, le métrage vient déjà flirter avec le film documentaire, une image et une bande sonore douce dévoilant des chrétiens obligés de se cacher pour vivre leur foi comme ils l’entendent.
À la recherche de leur mentor, le père Ferreira, les deux missionnaires vont profiter de leur séjour pour apporter un soutien moral et religieux aux catholiques japonais, obligés eux aussi de se cacher ou de pratiquer le fumi-e (piétinement d’idoles chrétiennes) pour ne pas se voir torturés ou tués. Mais ce voyage chaotique permet aussi à Sebastian Rodrigo (incarné par un David Lampson investi) de se questionner sur ses propres croyances alors même que son propre périple ressemble, selon lui, de plus en plus à la Passion du Christ, le chemin emprunté par Jésus de Nazareth jusqu’à sa mort et sa résurrection.

Mais c’est véritablement dans sa deuxième partie, beaucoup plus psychologique que Silence tire sa réelle substance de film important. Cette partie nous introduisant rapidement une foule de nouveaux personnages comme celui de Kiku, campée par une Shima Iwashita (Harakiri, Le Goût du saké…) toujours aussi juste. Elle permet ainsi de créer de la conversation à double sens autour des évènements qu’ils endurent. Ainsi, la légitimité de promouvoir le christianisme en Asie est plusieurs fois évoquée dans des dialogues savoureux, permettant à Shinoda de dresser une critique acerbe d’un Japon qu’il qualifie de “marécage” via le personnage d’apostat de Ferreira, campé avec malice par Tetsur? Tamba (Harakiri, Goyôkin…).
C’est dans sa plongée aux enfers finale que le film prend des allures de film de genre vraiment jouissif, qui n’a pour mot que la violence, suggérée avec une maestria certaine. Les différentes scènes de torture et d’exécutions trouvent une place toute particulière dans le récit, permettant de faire évoluer de manière drastique les opinions et réactions des personnages abandonnant, dans un élan salvateur, tous leurs principes pour revenir à une rationalité universelle face au silence de Dieu, finissant ainsi sa thèse du “baptême raté” qu’a représenté, un jour, cette absurde conquête religieuse d’un Japon implacable qui, depuis, a su céder.
Si Silence peut paraître assez austère, de par son propos et le style très particulier de son réalisateur, il demeure, au fil des années, un film qui a su garder une saveur toute particulière et qui propose, encore maintenant, une réflexion très moderne sur cet évènement effroyable de l’histoire japonaise. Si on peut parfois reprocher au métrage une certaine lenteur qui peine à proposer un onirisme solide, la folie de son dernier quart d’heure en fait un objet fasciné et fascinant pour nous, spectateurs, touchés par la grâce de ce cinéma qui ne ressemble, encore aujourd’hui, à rien d’autre qui n’ait été fait.
Silence, de Masahiro Shinoda. Avec David Lampson, Tetsur? Tamba, Don Kenny… 2h09.
Film de 1971, sortie en France en DVD et Blu-Ray prévue le 24 mars 2021