Alors que son huitième film en tant que réalisatrice est attendu pour la fin de l’année, un retour sur la carrière de Sofia Coppola semble inéluctable tant son œuvre a influencé la culture du début des années 2000 en remettant au goût du jour un style hyperféminin assumé. Les personnages féminins de la réalisatrice, loin de succomber à quelconque archétype comme les aiment les auteurs masculins, sont fragiles, imparfaits et résolument humains, loin des femmes puissantes et dénuées de toute émotion. En choisissant son esthétique, Coppola réfute les tendances en vogue dans l’art depuis les années 70 qui ont vu toute affirmation d’hyperféminité comme le rose ou les fleurs être rejetée pour des portraits plus “forts” – comprendre “plus masculins”. Dans l’attente de la sortie de Priscilla, penchons-nous sur celles, solitaires et ennuyées, qui l’ont précédée.
Lick the star (1999)

Première réalisation de Sofia Coppola, Lick the star transpire la mélancolie, qui suinte de toutes les œuvres de son autrice. Son ouverture nous annonce déjà la couleur : une jeune fille en voiture, observant la rue coincée dans sa bulle de tristesse, la voix dénuée de tout sentiment en fond. Bien que plus poussé dans son travail sur l’imagerie, Virgin Suicides n’est pas sans rappeler Lick the star, tous deux abordant les thèmes de la brutalité de l’adolescence et du suicide. Il y a cependant plus de brutalité dans ce premier court-métrage qui, loin de laisser ses personnages dépérir sans d’abord batailler, voit ces jeunes filles projeter leur colère contre les garçons, le regard masculin, avant de s’en prendre à elles-mêmes.
De la même manière que dans son futur Les Proies, Sofia Coppola met en scène les relations implicites de pouvoir dans tout espace social, ces relations et la violence qui en sort étant encore plus accentuées par le jeune âge des protagonistes. L’adolescence est mesquine sous la caméra qui parvient à transcrire l’aura des jeunes filles, particulièrement celle de Chloé dans la première partie avant de tout détruire dans la deuxième, révélant l’extrême jeunesse et perdition de son personnage. Lick the star diffère du reste de la filmographie de Sofia Coppola en n’accordant aucun moment de laisser-aller ou de répit aux protagonistes ; au contraire, là où Marie-Antoinette ou Lost in translation semblent enfermer leurs personnages dans leur mal-être et dans une bulle d’ennui protectrice, Lick the star présente une adolescence plus brute, violente, qui se complait dans la rage de son impuissance avant de s’y consumer. Le suicide ici ne vient pas d’un abandon mais plutôt comme un refus de marginalité. Chloé, comme le reste des filles du lycée, veut se sentir membre d’un collectif et renie toute possibilité de solitude, cette même solitude à laquelle elle ne peut plus échapper et qui finit par la détruire.
Plus pessimiste, mystique et brut que les prochaines productions de Sofia Coppola, Lick the star est intéressant de par la manière dont il contient tous les thèmes et points de vue plus tard développés dans ses longs-métrages. Exposant la brutalité de l’adolescence et la cruauté de cet ordre hiérarchique à la fois adulte et terriblement enfantin, le court-métrage présente une idée de la féminité plus défiante, moins encline à tomber dans le piège du regard masculin. Une entrée dans la réalisation imparfaite et par moments maladroite, mais ô combien prophétique de la carrière de sa réalisatrice.
Virgin Suicides (1999)

Centré autour de cinq sœurs au destin tragique, le film est raconté du point de vue d’un de leur voisin tombé éperdument amoureux de ces dernières. L’audience reçoit l’histoire du point de vue d’un jeune garçon adolescent avec tout ce que ces deux termes impliquent : la vision déformée de la femme qu’ont les hommes dès leur plus jeune âge ainsi que les fantasmes qui accompagnent continuellement les jeunes années. Finalement, ce n’est que ça, l’adolescence : la rêverie constante. Beaucoup de films semblent l’oublier mais il ne se passe pas grand-chose durant cette période où tout est en perpétuelle stagnation. L’adolescence est par excellence le moment où l’imagination se cultive le plus, où la moitié d’une relation se fait dans notre tête, où l’on élabore des scénarios impossibles autour d’une fascination et une obsession pour tuer l’ennui et la routine qui nous est imposée. Si cette fascination s’articule autour d’une passion pour la plupart des gens, les garçons du film ne rêvent que des cinq sœurs.
Comme tous les gens de leur âge, les sœurs ne rêvent que de liberté, et n’en ont aucune. Leurs parents, extrêmement sévères avec elles (frisant à certains moments la maltraitance), ne sont pas à l’écoute de leurs besoins et ne cherchent qu’à les faire rentrer dans le moule de leur vision de la femme idéale, pure et chaste. Les garçons, si amoureux des filles, voient la sévérité des parents et l’enfermement des sœurs comme le cliché de la princesse en haut de la tour alors que de leur côté, elles sont en train de dépérir en captivité, jusqu’au point où un simple appel avec de la musique en fond devient le point culminant de leurs journées. Mais si leurs intentions ne sont pas mauvaises, les garçons emprisonnent bien malgré eux les filles encore plus qu’elles ne le sont déjà à coup de préjugés : leur blondeur solaire est perçue comme un signe ultime de pureté et la distance permanente que leurs parents mettent entre elles et le monde devient mystérieuse et attirante, telle une chose interdite mais que l’on ne rêve que de posséder. La féminité dans Virgin Suicides est létale : les sœurs sont magnifiées à travers leur apparence, cette dernière les met à l’écart des autres, comme des objets trop beaux pour être possédés. Elle est à l’origine même de leur solitude et, fatalement, de leur fin.
Premier film prometteur, Virgin Suicides propose un regard ambivalent et inquisiteur sur la condition de jeune fille dans un monde masculin et sur les difficultés que pose l’arrivée dans la réalité brute et cruelle de l’adolescence. Faussement édulcoré, magnifiquement interprété et bénéficiant d’une écriture digne des plus grande tragédies, le film introduit de manière fracassante Sofia Coppola dans la scène cinématographique, pour un résultant franc, honnête qui n’a pas perdu de sa pertinence plus de vingt ans après sa sortie.
Lost in Translation (2003)

Cinq ans après le succès de son premier long-métrage, Sofia Coppola présente son nouveau film, centré autour de deux personnages aussi seuls que perdus dans leurs vies respectives. Lost in Translation mélange une bonne grosse crise existentielle, beaucoup de verres de whisky, l’ambivalence d’un Tokyo plus vivant que jamais et une perruque rose iconique qui détonne dans le calme serein d’un couloir d’hôtel.
Pas vraiment platonique, ni totalement romantique, le lien qui unit les deux personnages est à l’image de leur état d’esprit : confus. Cette relation si spéciale se caractérise également par son aspect éphémère. Le/la spectateur·ice est pleinement conscient·e, et ce dès que les deux personnages se rapprochent au moyen de sourires gênés, que rien de tout cela ne va durer. Ces quelques jours à arpenter les rues de Tokyo et les couloirs de leur hôtel sont les seules bribes d’intimité qu’iels vivront ensemble, la parenthèse dorée où iels oublieront leurs doutes et leur solitude avant de revenir à la réalité. Tout cela se caractérise par le plus beau moment du film où Charlotte (interprétée à la perfection par une Scarlett Johansson de 17 ans) dit à Bob (Bill Murray), alors qu’iels se trouvent au sommet d’un gratte-ciel à contempler la ville de Tokyo, pleinement consciente de la fugacité du moment : “ne revenons jamais ici ; ce ne sera jamais aussi amusant.” Le côté éphémère accentue le lien entre les deux personnages qui, le temps d’un instant, laissent tomber les masques de la solitude. Tou·tes deux semblent bloqué·es dans un monde qui n’appartient qu’à elleux, pas vraiment ancré dans le réel, ni totalement plongé dans l’imaginaire. Le temps semble s’arrêter pour elleux alors qu’autour, la ville vit.
Le choix de la ville de Tokyo est très parlant. En effet, à plusieurs reprises, nous pouvons apercevoir Bob ou Charlotte observer la ville du haut de leur chambre d’hôtel. Les plans sont ternes et larges de manière à ce que les deux personnages, seuls et vulnérables, soient noyés dans l’immensité urbaine comme au milieu d’une foule. Mais dès qu’iels se rencontrent et commencent à passer du temps ensemble, leur univers s’illumine au même titre que la cinématographie : l’image prend un aspect rêveur, presque irréel, comme ce que ce sont en train de vivre les personnages, jusqu’à ce baiser d’adieu entre deux âmes qui, pendant un moment, ont trouvé un semblant de confort côte à côte. Puis on rembobine, les choses redeviennent telles qu’elles étaient : grises et ennuyeuses, le fameux ennui qui caractérise les personnages de Sofia Coppola.
Lick the star écrit et réalisé par Sofia Coppola. Avec Christina Turley, Audrey Heaven. 0h14
Sorti le 1 octobre 1998
Virgin Suicides écrit et réalisé par Sofia Coppola d’après le roman éponyme de Jeffrey Eugenides. Avec Kirsten Dunst, Josh Hartnett, Leslie Hayman. 1h37
Sorti le 19 mai 1999
Lost in translation écrit et réalisé par Sofia Coppola. Avec Scarlett Johansson, Bill Murray, Anna Faris. 1h41
Sorti le 3 octobre 2003
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