Adapté du roman éponyme de Tom Perrotta, The Leftovers est une série de Damon Lindelof, l’un des scénaristes de Lost pour la télévision, une série acclamée, mais également de Prometheus au cinéma, l’un des opus de la saga Alien le plus conspué. Avec l’aide de l’auteur, Lindelof livre un brillant réquisitoire pour la mémoire des personnes qui restent, celleux qui souffrent de la perte d’un être cher mais aussi de la fragilité de l’Homme face à ses pulsions et ses croyances.
L’histoire commence par une femme qui sort d’un supermarché, elle porte son bébé pour l’attacher sur son siège auto et, en un battement de cil, il n’est plus là. Ce 14 octobre 2011, 2% de l’humanité a disparu de manière inexplicable. Trois années se sont écoulées dans la bourgade américaine de Mapleton mais personne ne reste insensible à cette Disparition : certain·es veulent la comprendre, d’autres l’oublier et chacun·e doit affronter ses croyances mises à mal.
Sur trois saisons riches (28 épisodes en tout), nous suivons celleux qui sont resté·es (« the Leftovers ») en nous ancrant dans leurs quotidiens et leurs dilemmes moraux, des personnages comme Kévin, le shérif, Matt, le pasteur ou Nora, l’inspectrice des disparitions. Elleux, comme nous, ne savent pas à quoi est dû cette Disparition. Un scientifique au début du premier épisode annonce qu’il « ne comprend pas ce qu’il s’est passé », comme un message aux spectateur·ices égaré·es : vous ne saurez pas pourquoi ces personnes ont disparu. Cela n’est expliqué ni au début ni à la fin. Peu importe le pourquoi (même si certaines théories existent), la série prend le parti de suivre l’évolution d’une société meurtrie et de ses habitant·es. Celleux qui doivent faire le deuil de personnes disparues (et non décédées) soudainement et qui pensent que ce drame pourrait aussi se reproduire. Comment continuer à vivre de la même manière face à un événement inexpliqué ? Comment croire au côté arbitraire de ces disparitions ?
La narration est construite comme un casse-tête à indices en commençant par le plus petit pour arriver au plus grand. Un grand nombre d’épisodes ne sont centrés que sur un personnage pour nous faire comprendre tout le parcours personnel, initiatique et de deuil. Nora, par exemple, est la sœur d’un pasteur, Matt, mais n’est pas spécialement croyante avant la Disparition où elle y perd ses deux enfants et son mari… Son cheminement sur les trois saisons est de faire le deuil, progressif, des disparu·es tout en nous montrant qu’une seule parole d’espoir peut lui retourner ses croyances. Après tout, ces personnes ne sont pas reconnues mortes…

La question du culte et de la foi est également au centre de tous les questionnements dans cet univers post-apocalyptique. La situation inexpliquée laisse le champ à toutes les croyances. Dans la saison 2, Nora et Kévin déménagent à Jarden au Texas. Une ville rebaptisée Miracle par ses habitants et les médias car elle n’a connu aucune disparition ce 14 octobre 2011. Sur ce simple fait, elle devient une micro-société fermée par des barrières et un lieu touristique pour celleux qui veulent savoir ce que cette ville a de particulier. Aux alentours se créent des zones de non-droits ou des bidonvilles par celleux qui ne peuvent entrer dans la cité. Une manière de rappeler que même dans cette société, la loi du/de la plus fort·e l’emporte toujours. Cependant, The Leftovers bouscule à chaque fois ce que nous, spectateur·ices, pensons acquis avec des fulgurances d’écriture dantesques. Toujours dans la saison 2, trois jeunes femmes disparaissent soudainement à Miracle, laissant les habitant·es réduit·es à leurs instincts primaires (la mort, la destruction, la vengeance) au profit de la raison. Plusieurs indices au cours de la saison nous montrent que Kévin est la clef s’il retrouve la mémoire mais un twist final questionne tous les personnages sur leurs rapports moraux et leurs idéaux (le sacrifice, le pardon, l’oubli, les non-dits) et finalement admettre que Miracle est une supercherie orchestrée par les croyances, le hasard et la sélection arbitraire de la Disparition. La saison finale aborde complétement toutes les croyances annoncées précédemment pour devenir une représentation biblique de cette société craignant le Déluge (une pluie diluvienne qui va tout emporter) à moins d’un sacrifice. Chacun·e est emporté·e par son libre arbitre en ce qu’iel croit être juste, cruel ou inéluctable.
The Leftovers n’a pas besoin d’explications détaillées sur l’intrigue pour faire comprendre ses enjeux : l’oubli et le deuil. La série montre comment évoluent les liens sociaux après un drame d’une telle ampleur. Elle est portée par des personnages comme Kévin et Nora brillamment interprétés (Justin Theroux et Carrie Coon crèvent l’écran) qui peuvent arriver à nous questionner sur ce qui est bien et ce qui ne l’est pas, ce qui est vrai ou non. Si les disparu·es ne sont pas mort·es, c’est qu’ils vivent ailleurs avec 98% de la population en moins. Peut-être est-ce un mensonge, ou pas, mais la vérité n’est pas si importante tant que la sincérité est celle des mots et des cœurs et pas celle du repli communautaire.
The Leftovers est une série crée par Damon Lindelof et Tom Perotta en 2014. Avec Justin Theroux, Amy Brenneman, Christopher Eccleston.
Les 3 saisons sont disponibles sur Universciné et OCS