On l’avait raté avec regret lors de la dernière édition du Reims Polar, mais Boîte noire de Yann Gozlan, présenté en compétition au festival d’Angoulême, fait partie de nos rattrapages d’urgence. Le réalisateur étant coutumier des thrillers tendus à la mise en scène efficace, sa nouvelle proposition ne fait pas exception, et nous entraîne dans une intrigue complexe, aux nombreux ressorts et à la réalisation impeccable.
Mathieu Vasseur – Pierre Niney, incroyable à chaque instant – travaille comme acousticien pour le BEA (Bureau d’Enquêtes et d’Analyses), une division chargée de la sécurité de l’aviation civile, qui a pour mission d’analyser les différents facteurs ayant pu causer des déficiences lors d’un vol, notamment grâce aux fameuses boîtes noires. Grâce aux enregistrements cockpit retrouvés après un crash, Mathieu et ses collègues écoutent, détaillent, et émettent leurs rapports, déterminant si l’erreur est humaine ou technique. Mais alors qu’un vol Dubaï-Paris transportant plus de 300 personnes s’écrase dans les Alpes, tuant l’intégralité de ses passagers, et que les premières écoutes ne font aucun doute quant à l’attentat terroriste, Mathieu repère des détails qui le font douter. Beaucoup de choses ne concordent pas, et l’acousticien se persuade que derrière l’accident, dont l’enquête est classée par sa hiérarchie, se cache une supercherie bien plus grande.
Pour décrire ce métier de l’ombre avec le plus de pertinence, Yann Gozlan choisit de porter une grande partie de son attention autour du travail sur le son. Cette attention, qui nous fait penser au Chant du loup ou, plus récemment, à Sound of metal, propose une immersion complète : nous sommes constamment avec Mathieu, dans cette perception particulière que lui permet cette ouïe qui lui est propre. Hors de ses écoutes, où les écrans de fluctuations nous permettent de déterminer les détails qui l’interpellent, nous entendons les oiseaux, les insectes, chaque bruit qui l’entoure avec une acuité accentuée. Une empathie sensorielle qui prend sens lorsque le son s’emballe, que notre protagoniste ne peut plus s’entendre réfléchir, et que tout devient cacophonie, justifiant la perte de contrôle dont il fait preuve à l’écran, et l’état de stress mettant ses nerfs – et les nôtres – à rude épreuve.

Cet état de crise progressif se justifie également par le contexte social dans lequel Gozlan nous plonge. Avec son épouse Noémie – Lou de Laâge, qui peine un peu plus à tenir son rôle – responsable des certifications d’appareils avant leur mise en vol, et son meilleur ami qui gère une boîte de sécurité chargée d’opérer sur les avions déficients, Mathieu n’a jamais le moindre recul, reste le nez collé dans le milieu de l’aviation, et se retrouve avec une pression supplémentaire : si ses soupçons sont avérés, ce sont non seulement lui, mais aussi une partie de ses proches, qui tombent. Les outils humains d’information qu’il peut utiliser à son profit deviennent les mêmes sources d’obstacles. Celleux qui s’inquiètent pour lui ne se dissocient plus de celleux qui ont des choses à cacher, le puzzle se densifie à mesure que sa paranoïa le rend incohérent.
Par ces biais efficaces, Gozlan mêle les genres. Il touche tant au polar d’action mené tambour battant et au rythme étouffant qu’au thriller politique, cachant son scandale derrière ses strates indéboulonnables. À mesure que l’intrigue avance, le personnage s’étoffe, des éléments dévoilés font douter de son excès de zèle, tout en renforçant l’idée que la manigance a tout intérêt à être masquée. Cette dualité, celle qui distingue le sens de la justice de la lubie délurée, joue à parsemer ses pièces, à émettre des suggestions contraires à l’esprit le plus convaincu. On se rappelle Complots de Richard Donner, où celui que l’on veut suivre dans sa quête vengeresse nous apparaît par moments comme un fou qui a juste atteint un point de non retour. Mais dans sa narration, et sa façon de rester au plus proche de l’obsession et de ne jamais quitter le point de vue de son protagoniste, Boîte noire fait plus penser à Conversation Secrète de Coppola, à la démonstration de ces “justes” qui comprennent que l’exposition de la vérité passera par le sacrifice de leur esprit.
Complet et brillant, Boîte noire n’évite pas certaines lourdeurs, notamment dans son acte ultime qui se joue de manichéisme alors qu’il pouvait n’être que suggéré, et à son utilisation de la musique qui manque de subtilité là où le travail sonore est d’une maîtrise unique. Détails anodins face à l’efficacité du film, qui ne laisse que peu de choses au hasard, et emporte son public dans une quête acharnée, qui fait retenir son souffle jusqu’au derniers instants.
Boîte noire, de Yann Gozlan. Avec Pierre Niney, Lou de Laâge, André Dussolier… 2h09
Sortie le 8 septembre 2021