À l’heure des the Last of Us et autres Super Mario Bros, il est bon de rappeler aux afficionados d’adaptations de jeux vidéos l’existence d’une itération bien plus qualitative, la série animée Castlevania. Car si aujourd’hui, l’idée même de qualité et Netflix semblent avoir résolument divorcé·es, Castlevania apparait comme une véritable erreur dans la matrice, soit une adaptation qui, en plus d’être visuellement magnifique, reprend avec brio les thèmes de fond du jeu d’origine, en réadaptant à merveille l’histoire.
Si les jeux Castlevania ont aujourd’hui perdu de leur superbe face à d’autres concurrents, il est important de rappeler que, lors de la sortie des premiers opus dans les années 80, l’innovation est totale. Chaque jeu propose une histoire assez convaincante, s’inspirant librement du Dracula de Bram Stoker et les visuels, bien qu’ayant mal vieilli, n’ont de cesse de se renouveler à chaque sortie. La license a admirablement bien passé le test du temps et a gagné au fil des années une communauté de fans assez solide, ce qui a poussé Netflix a acquérir les droits au début des années 2010. L’intrigue de la série s’inspire librement des jeux Dracula’s Curse et Curse of Darkness et suit le comte Dracula dans sa quête vengeresse contre la race humaine après que celle-ci a fait brûler sa femme vivante pour accusations de sorcellerie. En parallèle, son fils mi-humain mi-vampire Alucard tente d’arrêter les plans de son père accompagné dans sa mission par Sypha Belnades, magicienne, et Trevor Belmont, dernier descendant d’une lignée de chasseurs de vampires.

La série se révèle intéressante par son traitement des traumatismes et du vampirisme. De la même manière que le Dracula de Coppola, le fait même du vampirisme et de la violence résulte des abus vécus par les personnages et de leur réaction. La série utilise cet élément de manière très judicieuse car cela permet d’humaniser ces personnages somme toute assez faciles à détester, et à leur donner une complexité plus audacieuse que les représentations “classiques” des vampires dans le paysage culturel. À vrai dire, les démons dans Castlevania sont plus prompts à susciter la sympathie que les humains, généralement montrés comme étant une source de mal plus vicieuse que ce qu’ils cherchent à combattre. La moralité est complexe dans la série : peut-on vraiment totalement condamner la décision de Dracula d’éradiquer la race humaine lorsque celle-ci est à l’origine de la majorité des traumatismes chez nos personnages ? Le trio Sypha, Alucard et Trevor pose d’ailleurs habilement la question dans la première saison, dont la lenteur pourrait à la fois être considéré comme un reproche et une décision louable ; réellement, pourquoi sauver l’humanité ? Pourquoi tous les héros font l’effort alors que leurs personnages sont construit par les abus d’autrui, entre fanatisme religieux, violence et bassesse de caractère ?
Malgré une esthétique plutôt gothique, médiévale et gore par certains moments, Castlevania s’intéresse aux réactions des personnages condamnés à vivre avec leurs traumatismes plutôt que de simplement montrer les maltraitances à l’écran comme la mode générale dans le paysage sériel et cinématographique le veut. Le vampirisme des personnages est à double tranchant ; par essence, il représente la perfection physique, la notion même d’immortalité et de jeunesse éternelle, et pourtant, la malédiction de cette condition ne s’est jamais autant faite sentir. Tou·tes sont condamné·es à vivre ainsi jusqu’à la fin des temps, trop enivré·es par l’illusion du pouvoir pour songer à mourir. Visuellement, c’est une opposition classique entre le luxe aristocratique des plus puissant·es et l’aspect plus simple et sale des plus pauvres. L’animation de la série rend hommage aux films Vampire Hunter D des années 80 et 2000 avec un style très fluide et grandiloquent, mettant énormément l’accent sur la gestuelle des personnages, ce qui offre à l’ensemble des quatre saisons un aspect très riche et des batailles se distinguant particulièrement. Les visuels des personnages sont également exemplaires et parviennent à être marquants et uniques sans laisser tomber l’esprit des jeux. On pense notamment à Dracula qui garde un aspect assez fantômatique et brut comme dans Dracula’s Curse, malgré le fait que ce soit bien Carmilla qui bénéficie le plus de l’adaptation, perdant un air sexualisé et une intrigue secondaire assez inutile pour trouver un aspect plus sensuel (qui n’est pas sans rappeler Lucy Westenra telle que décrite par Stoker) mais également beaucoup plus menaçant. Il est intéressant par ailleurs de voir les deux dernières saisons se centrer sur Carmilla plutôt que Dracula comme antagoniste principale, tant elle représente de manière assez fidèle la figure abusive non-masculine, ce qui est assez rare pour être souligné.

Adaptation libre plutôt que copie des scènes du jeu (hum, the Last of Us), Castlevania sert réellement de figure de proue dans la vague d’adaptation de jeux vidéos, clouant au poteau Uncharted et autres Assassin’s creed de par son absolue créativité. La série reprend assez bien les enjeux et thématiques de son support d’origine et prend la liberté d’agrandir l’univers et d’approfondir la représentation de ses personnages, nombreux mais ayant tous un arc complet et remarquablement bien écrit. Ajouté à cela une esthétique proche des Vampire Hunter D et de leur critique des classes, force est de constater que depuis la fin de sa diffusion en 2021, Castlevania reste toujours en haut du panier en terme d’adaptation de jeux vidéos, allant même jusqu’à bénéficier d’une seconde série adaptée du même univers, attendue pour l’hiver 2024 et reprenant l’intrigue de Symphony of the Night.
Castlevania créé par Warren Ellis. Avec les voix de Richard Armitage, James Callis et Graham McTavish.
3 saisons diffusées entre 2017 et 2021