Ce n’est pas la première fois que la vie du tyrannique roi Henri VIII est racontée au cinéma. Cinq de ses six épouses, bien que moins présentes dans les récits ont vu leurs propres histoires tragiques entrelacées avec son règne tyrannique. Si elles ont été répudiées ou décapitées, sa dernière femme aura réussi à survivre et à persister sous sa souveraineté chaotique. Karim Aïnouz a décidé de mettre en lumière le destin tumultueux et passionnant de Catherine Parr.
Aïnouz démarre son film sur l’évènement qui fait basculer le destin du couple royal. Catherine Parr se retrouve brièvement à la tête du royaume en tant que régente pendant que le roi Henri VIII part en guerre en France. Cette nomination lui offre une opportunité rare d’exercer un certain contrôle et de promouvoir des principes protestants que son mari méprise. Elle noue des liens avec Anne Askew, une prédicatrice radicale, ce qui peut mettre à mal la reine si quelqu’un la surprend. Après tout, le roi n’est plus à une décapitation près. Son retour signe la fin des actions d’Anne qui est condamnée à être brûlée vive pour trahison. Persuadée que ses idées doivent être entendue et que la société se doit d’évoluer, la reine se lance dans une partie de cache-cache au péril de sa vie. Ce postulat de départ conditionne toute la suite du long-métrage et tend une corde raide sur laquelle Catherine doit jouer un tour d’équilibriste dangereux.

Jeu de dupe
Les deux têtes d’affiche du long-métrage ont de quoi surprendre. Lorsque Jude Law cabotine, ce n’est que pour mieux incarner et se moquer de ce roi colérique et paranoïaque. Plus d’une fois le réalisateur n’hésite pas à le tourner au ridicule dans sa façon d’agir, de parler, de souffrir et même de jouir. Une exagération qui permet à Alicia Vikander de s’élever de la masse. Sa performance donne corps à une reine prête à tout pour défendre ses idéaux et son peuple. Si Henri VIII a un pouvoir plus grand que sa femme, Catherine a les armes pour le contrer. Un personnage complexe qui, si elle se bat pour ses pensées n’en a pas moins aimé son roi. Vikander dévoile les craintes, les aspirations et les chagrins de son personnage. La caméra ne fait que s’attarder sur son regard, préférant s’intéresser à ses ressentis qu’à ceux du roi qui restent au second plan. On regrette juste que le scénario ne lui offre pas plus de grandes scènes. De ce fait, ce trop plein de retenue laisse un arrière goût amer et nous laisse imaginer le très grand film féministe qu’il aurait pu être.
Karim Aïnouz évite les lourdeurs inhérentes aux films historiques en modernisant son propos pour en faire un récit universel sur la guerre des genres mais également sur la force de la sororité. Les seconds rôles ne sont pas en reste puisqu’ils jouent un rôle primordial dans le destin de Catherine à l’image de l’évêque farouchement anti-protestant Stephen Gardiner (odieux Simon Russell Beale) qui fait tout pour déchoir Catherine et semer le doute dans l’esprit du roi quant à sa loyauté. L’acharnement de ce dernier à établir une connexion entre elle et Anne Askew l’incite à interroger les gardes et les dames d’honneur, qui maintiennent leur loyauté inébranlable malgré les menaces d’exécution.
Ce morceau d’histoire féministe nous est raconté dans un écrin des plus beaux. Le classicisme de la mise en scène contraste avec le propos tout en travaillant constamment la photographie si bien qu’on se croirait face à différentes peintures d’une vie conjugale faite de peur et de trahison. Les décors brumeux d’Angleterre donnent une dimension presque spectrale au film, donnant ainsi corps à la menace qui plane au-dessus de Catherine Parr. Si on peut reprocher à Aïnouz de garder sa caméra fixe dans un lieu donné avec un cadre toujours défini, ce n’est que pour mieux représenter l’emprisonnement physique et psychologique de Catherine. Il est d’ailleurs accompagné d’une très belle partition de Dickon Hinchliffe qui vient assombrir régulièrement le récit. Loin d’être un simple film historique, il est une passionnante analyse du pouvoir mis en place à l’époque tout en naviguant entre le drame et le thriller. Ajoutez à cela un duo Law/Vikander dont l’alchimie fait des merveilles et vous obtenez une œuvre passionnante.
Le jeu de la reine réalisé par Karim Aïnouz. Écrit par Jessica Ashworth et Henrietta Ashworth. Avec Alicia Vikander, Jude Law, Simon Russell Beale… 2h
Sortie le 28 février 2024