En 2017, Kaouther Ben Hania frappait très fort avec La belle et la meute. Ce film nous plonge dans l’enfer nocturne d’une jeune femme violée et abandonnée par les forces de l’ordre, ne pouvant compter que sur elle-même pour survivre toute la nuit. Six ans plus tard, la réalisatrice revient avec un nouveau portrait de femme toujours aussi magnifique et abouti, tant sur la forme que sur le fond.
Olfa vit en Tunisie avec ses quatre filles. Un jour, ses deux aînées disparaissent pour rejoindre Daesh en Libye, provoquant un vide dans la maison, dans son cœur et celui de ses deux autres filles. Pour combler ce manque et trouver des réponses à leurs questions, la réalisatrice engage deux comédiennes pour remplacer les jeunes femmes disparues. À leurs côtés, Olfa et ses deux filles jouent également leur propre rôle pour retracer leur vie jusqu’à cette disparition fatidique. En se plaçant comme docu-fiction, la cinéaste tunisienne fait un pari osé. Elle engage aussi une doublure pour Olfa lorsque certaines scènes l’affectent trop psychologiquement. Un embriquement qui peut paraître fragile aux premiers abords et pourtant, une fois que tout se met en place, la magie opère.

Beaucoup de choses viennent nous bouleverser, en commençant par Olfa qui a subi les maltraitances de sa mère avant d’être mariée de force. Ce petit bout de femme refuse pourtant de se laisser faire et d’accepter sa condition, en témoigne la nuit de noce où elle a refusé de coucher avec son mari et l’a frappé pour se défendre avant d’essuyer son visage avec les draps, faisant ainsi croire au reste de la famille que le sang sur le drap provient de leur rapport sexuel. Une scène à la fois drôle et touchante lorsqu’Olfa dirige elle-même les acteur·ices dans sa mise en abîme. Il y a également Eya et Tayssir, les deux plus jeunes soeurs qui ont vu leurs aînées se radicaliser et disparaître. Un traumatisme dont elles n’arrivent pas à se remettre, retenant leurs sanglots dès qu’elles parlent d’elles face à la caméra (elles refusent même de prononcer leur nom, les considérant comme mortes).
On voit de manière indéniable une catharsis pour Olfa et ses filles. Si elles rejouent les scènes marquantes de leur passé (l’exorcisme d’une des soeurs reste une scène d’une extrême violence), c’est peut-être pour mieux les appréhender et y trouver un contrôle qu’elles n’avaient pas auparavant. L’occasion aussi de faire face une dernière fois à leurs démons pour potentiellement s’en débarrasser et faire le deuil de deux êtres qui ne sont plus (elles sont toutes les deux actuellement incarcérées).
Outre le portrait de famille bouleversant que nous offre la réalisatrice, c’est également un regard sur la société tunisienne : ses rapports avec la sexualité, la religion, la place de la femme mais aussi de la politique du pays. Une oeuvre dense et surtout pleine d’amour malgré des divergences d’opinions. Là où Olfa n’a jamais totalement réussi à s’extirper du carcan patriarcal, ses deux cadettes ont un rapport beaucoup plus moderne et ouvert avec leurs convictions mais aussi leurs corps – sujet de nombreuses querelles -.
Profondément humain et touchant, Les filles d’Olfa apparaît comme un cri du coeur, une sororité nécessaire et bienvenue à l’heure où des pays comme la Tunisie opèrent toujours autant un contrôle patriarcal étouffant.
Les filles d’Olfa écrit et réalisé par Kaouther Ben Hania. Avec Hend Sabri, Nour Karoui, Ichraq Matar… 1h40
Sortie le 5 juillet 2023
[…] ne peut que ravir la cinéphilie de chacun. À travers Au cimetière de la pellicule et Les filles d’Olfa, c’est peut-être par le documentaire que bourgeonne enfin la vraie splendeur du cinéma de […]