Treize longues années. C’est le temps qui sépare Wendell and Wild de la dernière proposition d’Henry Selick, Coraline. Avant ça, son précédent fait d’armes marquant remonte à 1996, avec James et la pêche géante ; Monkeybone, en 2001, s’est pris un râteau critique et une désertion des salles au point de n’avoir chez nous qu’une discrète sortie en DVD deux ans plus tard. L’animateur a son palmarès, mais le réalisateur est rare, malgré l’affection que ses admirateur·ices lui portent. On l’a vu avec l’excitation provoquée par l’annonce de Coraline. Outre le fait d’être un excellent film, ce dernier était vu comme une revanche par celui constamment mis sous l’ombre de Tim Burton depuis L’étrange Noël de Mr Jack, le public pouvant enfin comprendre sa patte d’auteur, ses thématiques et son caractère unique. L’excitation se fait un peu moins vive pour Wendell and Wild, le projet se retrouvant sous la coupelle Netflix. Son annonce a provoqué les réactions des défenseur·ses du cinéaste, avant de se noyer, comme ses semblables, dans le catalogue de la plateforme. Mais retrouver Henry Selick n’est jamais un luxe, et si cette nouvelle proposition est loin de combler les attentes, le plongeon dans son animation bigarrée, son esprit rebelle et sa douceur gothique est toujours un plaisir.
Pour cette aventure, le réalisateur s’entoure d’un co-scénariste de choix : Jordan Peele – qui prête également, avec son comparse Keegan-Michael Key, traits et voix aux deux personnages-titre. Selick adapte son rythme et son ton comique au duo, tandis que Peele, lui, s’efface derrière les thématiques du cinéaste. Wendell and Wild renoue avec la solitude des protagonistes, comme Jack ou Coraline en leur temps, en proie à un monde qui ne les comprend pas, ne les accepte pas, tout comme eux le rejettent. Un chemin de croix qui passe par le besoin de retrouver ses proches, ou de se découvrir une nouvelle famille, qui resserre de nouveaux liens, plus sincères. Portrait évident lorsque notre héroïne, Kat, nous est présentée comme orpheline, ayant perdu ses deux parents lors d’un accident dont elle se considère responsable. Comme la magie de Noël cachant une contrepartie à appréhender, sa rencontre avec Wendell et Wild, fils du roi des démons et surtout larbins à sa solde, lui redonne l’espoir de retrouver ses parents. En effet, les deux coquins ont découvert que la substance qu’ils utilisent pour faire repousser les cheveux du paternel peut aussi, accessoirement, ramener les mort·es à la vie. L’occasion pour eux de former un pacte avec la jeune femme, mais aussi de nourrir des desseins bien plus sombres et indépendants de leur volonté…

C’est dans sa panoplie de personnages attachants que Wendell and Wild trouve sa principale force. L’accident montré en flashback confère une empathie immédiate pour Kat et ses parents, et sa quête devient nôtre en un plan. Le duo Wendell et Wild, notamment grâce aux efforts de Key & Peele, accroche par son aspect loufoque ; leur humour bon enfant de ces démons, censés être effrayants, va jusqu’à leur seule obsession de créer une foire gigantesque destinée à tou·tes. Clairement pas des mauvais bougres, à l’instar de Buffalo Belzer, leur père et roi de l’outre-monde, qui s’auto-proclame dangereux mais vient aider quand l’occasion s’y présente. Le Père Bests – incarné par un James Hong qui démontre encore qu’il est l’un des meilleurs comédiens de doublage outre-Atlantique – s’il pactise avec l’ennemi, le fait pour sauver son orphelinat. Des personnages aux enjeux qui peuvent s’avérer contraires, mais qui sont prêts à s’allier quand les circonstances l’exigent.
Les circonstances, ce sont celles causées par le véritable antagoniste du film, le couple Klaxon, qui avec sa main-mise sur la ville encourage le concept de prison industrielle, un fléau bien américain qui entache encore le pays. Campé par des méchant·es très méchant·es, le duo ne recule devant aucune bassesse, utilisant les frères démons pour réveiller des défunt·es enclin·es à abreuver leurs désirs politiques. L’ennemi est nommé, et il a un nom commun : l’ultra-capitalisme, quand ce sont les seuls personnages motivés par des raisons pécuniaires. Une forme de manichéisme finalement bienvenue quand le fléau est aussi identifiable, et peut être contrebalancé par les récits personnels de nos héro·ïnes, bien plus complexes. Malgré des enjeux multiples, la simplicité d’écriture autour des personnages rend le récit certes limpide, mais bien trop simple et convenu lorsque l’on connaît déjà la filmographie d’Henry Selick. Heureux·ses de retrouver son univers particulier, ainsi qu’une direction artistique qui change du lissage habituel de l’animation américaine, les spectateur·ices devront s’en contenter, tant Wendell and Wild esquisse les mêmes contours que ses prédécesseurs, mais ne dépasse jamais les cadres déjà pré-établis.
Difficile de ne pas être partagé·e entre la joie des retrouvailles avec un réalisateur rare, et la sensation d’avoir déjà oublié ce que nous avons vu si tôt le film achevé. L’effet doudou est assuré pour les admirateur·ices du cinéaste, les mêmes qui sont en droit d’attendre quelque chose de plus engagé, et plus unique.
Wendell and wild, d’Henry Selick. Écrit par Jordan Peele et Henry Selick. Avec Lyric Ross, Angela Bassett, James Hong… 1h45
Disponible depuis le 21 octobre 2022 sur Netflix