Uncle Frank : Fruit de la passion

Il est toujours évident qu’un coming-out est une épreuve pour celleux devant affronter une famille à l’éducation et aux mœurs différentes. Dans la campagne américaine de 1973, on imagine les difficultés pour un homme gay d’affirmer sa personnalité, et de faire accepter sa « différence« . Avec la douceur et la justesse qu’il avait déjà dévoilé dans ses scénarios – Six Feet Under et American Beauty, pour ne citer qu’eux -, Alan Ball nous offre avec Uncle Frank un récit initiatique profond et touchant, qui ne peut laisser personne indifférent·e.

Pour Beth, prise au piège dans une famille où l’ambition n’a de paire que l’éducation d’une époque, son oncle Frank est une véritable bouée de sauvetage. Dans ce cadre simple, cet homme lettré la fascine, lui qui semble la comprendre et avoir une vision de la vie bien plus signifiante que son entourage. L’occasion pour elle d’entamer des études supérieures, et d’ainsi rejoindre Frank à la vie, d’intégrer son microcosme. C’est alors que se dévoile à elle un terrible secret familial, que Frank dissimule soigneusement à ses proches : son homosexualité. Un sujet tabou, qu’il contourne constamment par divers stratagèmes – on prend pour exemple un repas avec sa sœur où son amie Charlotte se fait passer pour sa conjointe – et surtout un courroux auquel il tente d’échapper depuis toujours, accompagné d’un autre secret, qui se dévoile peu à peu à l’aide de flashbacks.

Au décès de son père, le fragile équilibre que Frank parvenait à maintenir commence à s’ébranler. Débute un road trip aux cotés de son amant Wally et de Beth pour retrouver le cocon familial le temps de l’enterrement et de la remise testamentaire. Un horizon fatidique, qui plonge Frank dans ses névroses à mesure de son approche, lui qui voit sa destination comme un échafaud certain. Alan Ball s’intéresse à ses personnages, les met au cœur de son récit pour leur offrir la part belle, et resserrer des liens avec une pertinence incroyable. Si nous sommes plongé·es dans un scénario classique, qui ne joue pas de son originalité et nous annonce dès le début qu’il va s’évertuer à déverser un panel de bons sentiments, le calme olympien avec lequel les éléments prennent le temps de se développer offre une force au métrage, qui trouve sa bienveillance dans sa justesse d’écriture. Tout est bien présent, mais rien n’est poussé, passé au forceps à coups de violons et autres artifices qui pourraient faire tomber le récit dans une dimension insupportable où la morale trop abondante prime sur sa force équivoque.

Nous sommes galvanisé·es par ces personnages. Difficile de ne pas s’attacher immédiatement à Wally, qui derrière son humour ravageur et sa capacité à tout prendre du bon côté cache lui aussi de profondes fêlures, une relation avec sa famille en Arabie Saoudite qui, on l’imagine aisément, ne doit pas non plus être des plus simples. Lui qui est un roc face aux problèmes de Frank n’est pas non plus insubmersible, en témoigne une conversation téléphonique avec sa mère où peu de mots suffisent à nous le rendre plus attachant encore. Cette confrontation lors de la remise testamentaire, où les non-dits s’exposent de la pire des manières, est aussi l’occasion de brosser le portrait des membres de sa famille, toujours avec la même intelligence. Le réalisateur prend le parti de ces personnes prises de court, ne s’attendant pas à une telle révélation, et éduquées à craindre ce qu’elles ne comprennent pas. Celleux qui acceptent deviennent de nouveaux·velles allié·es, mais celleux émettant des réticences sont mis·es face à leurs réflexions, à leurs acquis, avec une caméra qui se place comme une accompagnante face à un nouvel élément plutôt que comme un vecteur de jugement.

Surtout, et ce qui est le coup de grâce du film, l’homosexualité de Frank n’est pas le réel centre du récit. S’il s’agit évidemment d’une quête d’acceptation, et que l’on nous brosse les mentalités d’une autre époque où l’ignorance prévaut sur la jugeote – encore qu’aujourd’hui, on le sait bien, du chemin reste à faire -, le secret est un problème car il est avant tout un secret. Une sombre histoire qui a rongé le cœur de Frank et de son père, et qui a engendré des préjugés par leur faculté à ne vouloir rien dire. En voulant préserver l’équilibre familial par le silence, c’est ce dernier qui a créé ces conflits invisibles, ces rivalités et querelles entre ces personnes qui ne se comprennent pas, n’ayant au final jamais cherché à se découvrir. Beth, en observatrice, avance avec cette conviction, sereine, que provoquer la parole sur ce sujet craintif va permettre à la famille de s’unir pour de bon.

Uncle Frank n’a pas vocation d’être original. Il s’appuie sur des codes huilés, que l’on connait bien, pour ne pas prendre de risques dans sa mise en scène et ainsi pouvoir y apposer une maestria d’écriture. Quelle que soit notre vision quant à l’homosexualité, on y voit un récit d’homme torturé, qui ne peut pas laisser de côté. Précis dans son travail empathique, c’est en larmes que le/la spectateur·ice sort, luiel qui se sent grandi·e auprès de ces personnages ayant trouvé, eux aussi, leur chemin de pensée.

Uncle Frank, d’Alan Ball. Avec Paul Bettany, Sophia Lillis, Margo Martindale… 1h35
Disponible sur Prime Video

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