Parmi les obsessions qui jalonnent l’œuvre de John Carpenter, la menace invisible s’érige en pôle position. Une figure qu’il se complaît à décliner – les assaillants infinis de Assaut, le brouillard de Fog, ceux que l’on ne peut voir que par un procédé visuel dans Invasion Los Angeles, etc. –, cherchant à aborder tous les arpents du cinéma de genre pour les faire siens. Ici, il s’intéresse aux codes qui commencent à trouver un équilibre dans le Black Christmas de Bob Clark sorti quatre ans plus tôt, afin d’y digérer leur essence pour partir sur une dimension horrifique d’une simplicité folle, où tout transparaît par la seule force de la mise en scène donnant ses lettres de noblesse à un genre désormais saturé de propositions : le Slasher. S’en suit le raz-de-marée que l’on connaît. Mais si Halloween est toujours cité non seulement comme le document matriciel du genre mais aussi comme son sommet, c’est par le constat de ses émules répétitives qui ont balisé les décennies suivantes, sans jamais – ou rarement – égaler la proposition de Big John.

La recette est ici assez simple : une entité masquée que l’on ne perçoit que peu tant elle se fond autant dans les décors que dans le cadre, qui poursuit une quête meurtrière en s’en prenant majoritairement à des jeunes femmes. Insistons bien sur le terme d’entité. Si le patient que l’on voit s’échapper de prison dès les premières minutes est clairement nommé Michael Myers et se trouve apparenté à un individu de genre masculin, le docteur Loomis – incarné par un Donald Pleasance épris d’un spleen absolu – en a sa propre interprétation. Pour lui, Michael n’est qu’une goule, un réceptacle abritant le mal absolu et il est impossible de le traiter ou d’interagir avec. Une incarnation maléfique sans âme qui ne voue son existence qu’à accomplir son pacte avec la Mort elle-même. En choisissant dès l’introduction – magnifiquement mise en scène avec l’utilisation du plan-séquence et de la vue subjective – de nous montrer frontalement des meurtres avant de nous mettre face à la réalité de l’assassin, un enfant, Carpenter nous accroche, nous retire toute innocence et nous plonge dans cette dimension où le mal n’a besoin d’aucune justification pour sévir. On suit un double cheminement : celui de Michael, qui se pose en observateur de la vie paisible d’Haddonfield en recherche silencieuse de ses prochaines victimes ; celui de Laurie, une jeune lycéenne qui, au dam de ses amies la moquant régulièrement, semble ressentir la présence de l’homme masqué. Jamie Lee Curtis, alors dans sa première apparition sur grand écran, s’impose dans un rôle déterminant. Laurie Strode est aussi culte à la franchise que Michael Myers, jusqu’à la trilogie récente qui les oppose de nouveau à l’écran. Elle obtient, à l’instar de sa mère Janet Leigh pour Psychose, le statut de Scream Queen. Incarnant à la perfection ce rôle de la jeune fille candide qui, à mesure que les épreuves s’accumulent, s’affirme pour devenir plus un obstacle qu’une cible, elle offre à Laurie Strode une partition de choix, une final girl à laquelle on s’attache.
Si on peut le voir comme l’élément matriciel qui a défini nombre de codes du cinéma d’horreur moderne, c’est en le contextualisant que l’on comprend le choc qu’a du représenter Halloween à sa sortie. Se refusant constamment de tomber dans le sensationnel, le film appose une mise en scène glaciale, chirurgicale, où tout est voué à la fatalité inéluctable. Un sentiment qu’il est déjà trop tard lorsque Michael Myers reprend ses droits dans le cadre pour venir acter les exactions fatales aux protagonistes. Avec une photographie jouant sur les tons ternes, l’ombre devient une part du décor permettant à l’assassin de se mouvoir dans l’espace et de créer des effets de surprises à chacune de ses arrivées. Sa démarche lente mais parvenant à rattraper ses victimes fuyardes ajoute à la fatalité. Michael Myers est la Faucheuse, celle qui aura quoi qu’il arrive le droit de mort sur celleux qu’elle décide d’exécuter, et nous assistons impuissant·es à sa sentence.
Le film joue de codes qui, à l’instar du nombre de slashers qui pullulent les années suivantes, deviennent canon. On pense notamment au death by sex où la mort punit les jeunes s’adonnant à la découverte de leur corps, comme si le puritanisme se trouvait un émissaire, chose qui n’a pas déplu aux réactionnaires qui ont tenté de rallier le film à leur morale ridicule. Carpenter insuffle dans son ultra-réalisme (et ce malgré le caractère fantastique, aux limites du paranormal, de Michael Myers) une volonté de non-divertissement. Ici, on ne rigole pas entre ami·es devant un tueur ridicule et des effets qui, s’ils dégoûtent, titillent nos récepteurs en quête de sensations fortes. On frémit, on se tapit silencieusement dans nos sièges en se demandant quand le cauchemar s’arrête, s’il est possible de l’arrêter. Ne pas créer de raisons psychologiques aux exactions du tueur prend tout son sens. Un constat sur lequel Carpenter revient – malheureusement – dès le second épisode, en créant des liens de parenté qui, s’ils trouvent une certaine logique et ne lui retirent pas sa propriété démoniaque, peuvent lui offrir un caractère trop humain qui sera autant décrié qu’accepté. Les autres suites, bien trop nombreuses, retirent la sobriété inhérente à la personnalité du premier film au profit d’un sensationnalisme criant. L’excellente idée, initiée par Carpenter et Tommy Lee Wallace, de retirer Myers du troisième opus de la franchise, Halloween III : Le Sang Du Sorcier, pour transformer cette dernière en fresque d’anthologie jouant sur les thématiques propres à la célébration païenne, ne sera pas retenue. Ce pauvre Michael, au même titre que ce pauvre docteur Loomis, se voient malmenés au fil des épisodes, allant du slasher lambda et anecdotique (Halloween V : La Revanche De Michael Myers, qui tente de jouer sur la descendance et l’héritage mais tombe dans l’absolu ridicule) à des propositions plus sympathiques car jouant sur la corde sensible (Halloween, 20 Ans Après). Quant à l’espoir placé sur les épaules de David Gordon Green, à nouveau chapeauté par Carpenter himself, la nouvelle trilogie représente un pari audacieux. Habitée d’une trop forte volonté de « copier » l’original dans sa première itération, elle aura au moins le plaisir d’apporter un Halloween kills plein de décomplexion et qui assume le caractère “idiot” du récit, mais ne brille jamais. Il valait mieux ne pas trop en demander à celui qui derrière vient crachoter dans l’héritage de l’Exorciste.
En créant ses propres codes, Halloween en a aussi défini les limites. Il est annoncé dès le début que toute tentative de copie ou de suite dépassera instantanément le plafond de verre déjà atteint ici, les vouant au ridicule. Mais puisqu’Hollywood n’écoute pas, l’Histoire a parlé, envahissant les décennies suivantes de slashers ridicules. Les exceptions – finalement nombreuses au vu du nombre incalculable de représentants du genre – se distinguent, la plupart s’oublient mais Halloween lui, reste, ne voyant pas son statut culte se fissurer.
Halloween, la nuit des masques, de John Carpenter. Écrit par Debra Hill et John Carpenter. Avec Jamie lee Curtis, Donald Pleasance, Nick Castle… 1h41
Sorti le 14 mars 1979