Proposition allemande, Sleep (Schlaf en version originale) est le premier film de Michael Venus. Il fait preuve d’ambition en abordant la situation politique de son pays au travers d’une intrigue tortueuse mêlant passé et présent d’une même famille. Pour autant, l’enfer est pavé de bonnes intentions, les ratages cinématographiques aussi, et si Sleep est loin d’être une purge, il n’y a pas de quoi en faire une choucroute.
L’intrigue part sur le bon pied en nous faisant suivre Marlene, interprétée par Sandra Hüller, mère de famille tourmentée par des cauchemars liés au village de Stainbach, où elle décide de se rendre pour élucider le mystère de sa folie naissante. Face à la réalité, elle s’effondre et est emmenée à l’hôpital, tandis que Mona, sa fille, décide de reprendre l’investigation conduisant à la découverte d’un lourd secret de famille.
Coincé entre le thriller psychologique et le fantastique faussement complexe, Sleep, n’arrive pas à trouver le bon tempo pour entraîner son spectateur dans son labyrinthe narratif conçu par un architecte féru de schnaps de mauvaise facture. Michael Venus entend distiller ses indices au compte-goutte, en créant une ambiance étrange teintée d’hypnotisme et de méfiance absolue sur l’environnement qui entoure. Il joue d’une épure stylistique qui confère une austérité malsaine aux intérieurs, alors que le rythme lancinant du montage, loin de nous endormir, donne une impression de rêve constant.

Là où le bât blesse, c’est quand Michael Venus se la joue Dark, se perd dans ses références kubricko-lynchiennes, pour conclure sur une scène mid-générique de la wokitude A24 forcée. Il a son histoire, finalement simple une fois le puzzle reconstruit, mais a peur de ne pas savoir la rendre intéressante par son seul talent de metteur en scène. L’idée d’éclater sa narration, de mélanger les époques, est loin d’être mauvaise, mais l’exécution pèche sévèrement ici. La critique de la résurgence des pensées extrémistes perd en impact au milieu de cette intrigue familiale qui renvoie aux fantômes des heures sombres du nazisme et ses terribles conséquences. Car oui, il est question d’horreurs nazies et des restes de l’idéologie dans la société actuelle.
Le combat que Venus entend mettre en place entre la jeunesse qui a conscience du caractère néfaste de la pensée extrême, et les vieux aveuglés par la volonté d’un pays purement germanique sous leur total contrôle, est intéressant dans l’idée et amène certaines scènes parmi les plus réussies. Otto, le gérant de l’hôtel “maudit” est une parodie de chef politique qui prône l’Allemagne aux allemands sans se rendre compte de sa stupidité à mesure qu’il profère grand nombre d’anglicismes. On est presque déçu que ne résonne pas le fameux “Deutschland über alles” lors de la réception qui inaugure le climax.
Malheureusement, les règles de l’univers fantastique installé sont sacrifiées sur l’autel de l’égarement du spectateur et de la coolitude stylistique de mauvais goût. On pense à cette scène de karaoké phosphorescent qui se transforme sans aucune raison en cross-over risible entre Under The Skin et Suspiria de Luca Guadanigno, pour marquer le fait que désormais Mona doit venger sa mamie sous peine d’être hantée par celle-ci comme sa mère jusqu’à sa mort. Tout ce schmilblick est d’autant plus regrettable face au soin apporté à la mise en scène des séquences à tendance horrifique, plutôt efficaces.
La frustration prend finalement le pas, et Sleep est un échec mais pas cuisant. On regrette surtout un manque de recul de la part du cinéaste qui lance des pistes intéressantes, comme celle de la place de la jeunesse face aux braises toujours vives des erreurs passées, mais qui ne sait pas les exploiter. Une déception dont on se serait bien passé.
Sleep de Michael Venus. Avec Sandra Hüller, Gro Swantje Kohlhof, August Schmölzer … 1h41