Michel Hazanavicius a une personnalité qui se dégage facilement, que ce soit dans ses films ou en le rencontrant. Le réalisateur oscarisé pour The Artist n’hésite pas à rentrer dans le lard et s’amuser en parlant de ses films et de ses inspirations, ce même amusement qui se ressent quand on plonge dans sa filmographie. À l’occasion de la diffusion de Coupez ! en ouverture du Brussels International Film Festival, nous avons pu lui poser quelques questions, sur son rapport entre réel et fiction ou son nouveau projet.

Comment vous est arrivé le projet Coupez ! et quel est votre rapport avec le film original, One cut of the dead ?
Il est arrivé un peu par la bande, un peu par hasard, mais c’est une coïncidence car je travaillais depuis un moment sur une comédie de tournage. Quand le confinement est arrivé, j’ai commencé à noter des trucs, à avoir un début d’histoire, un début de structure, … En en parlant avec Vincent Maraval, le producteur, je lui raconte ce que je faisais et il me dit « je viens d’acheter les droits de remake, tu devrais regarder ». Entre ce que je lui ai raconté et le film, il y avait des similitudes. J’avais notamment un rapport avec un plan-séquence qui devait avoir un rôle important dans l’histoire. Il m’a donc dit qu’il avait pris les droits de remake si cela m’intéressait. J’ai vu le film et je lui ai dit « Ouais, si tu as personne, je le fais ».
Je trouve justement le film intéressant dans votre filmographie. Vos films ont souvent une porosité entre fiction et réalité, où les personnages fictionnels trouvent une réalité dans ce biais. Est-ce que c’est quelque chose qui était voulu, en prolongation avec votre cinéma ?
Quand j’ai vu le film, j’ai reconnu un terrain de jeu où je me sentais bien : plusieurs niveaux de lecture, un jeu sur le fond et la forme, un côté méta et des personnages qui ont – je ne sais pas si c’est de ça dont vous vouliez parler – à la fois une épaisseur d’être humain mais qui sont aussi des clichés de cinéma et qui ont effectivement un pied dans la fiction et un pied, non pas dans la vraie vie, mais dans une espèce de réalisme de cinéma. C’est vrai que j’aime bien quand il y a ces deux dimensions là, où on passe du fond à la forme et les personnages ont cet aspect méta où ils peuvent casser le quatrième mur. Donc j’étais à l’aise, je me suis senti un peu à la maison quand j’ai fait le film.
Même comme ça, il n’y a pas un certain danger dans la proximité entre la gestion du faux et le fait de montrer ce faux également dans le réel ? Je pense à cette blague – la meilleure du film pour moi – où le personnage de Romain Duris réfléchit avec la musique derrière et qu’on comprend qu’elle est dans la diégèse. Il n’y a pas justement ce danger permanent d’un équilibre un peu fragile entre ces biais ?
En fait, il n’y a pas de danger. Ce à quoi vous faites allusion, ce n’est pas dans le film original, c’est quelque chose que j’ai rajouté justement parce qu’on est dans la dynamique du film, c’est-à-dire ce jeu entre le fond et la forme et de rappeler au spectateur qu’il est au cinéma mais qu’en même temps, dans la vraie vie, on est aussi dans un truc de cinéma. C’est là où l’on fait une espèce de mise au point, où on rentre et on sort du film. Moi, je ne trouve pas ça dangereux mais c’est ludique au contraire. Et comme c’est un film en poupées russes avec plusieurs niveaux de fiction, il y a des moments où on sort un peu de cette fiction mais où on y rerentre après… Donc, non, je n’y vois pas de danger mais un terrain de jeu.

Justement, cet aspect ludique passe par une complicité avec le public, surtout avec la première partie du film. Comment appréhender cette confiance envers une audience qui doit passer par cette première partie pour mieux comprendre le film ?
Alors c’est très compliqué. Vous touchez à un truc très compliqué au film mais c’est intrinsèque et un peu insoluble à mon avis. Soit vous gâchez un peu la surprise des spectateurs mais ils savent un petit peu à quoi s’en tenir, ils savent qu’ils doivent être patients au début et où va le film, etc. Soit vous êtes un peu mystérieux, vous dites sans dire. C’est ce qu’on a essayé de faire pour ne pas trop gâcher la surprise mais quand même donner envie. Mais c’est sûr qu’il y a quand même un petit risque, c’est-à-dire qu’il y a eu des gens en France qui ne sont pas allés au bout du film parce qu’effectivement, il s’ouvre avec un film qui n’est pas bon, raté. Il y a plein de gens qui ont cru que mon film était raté, ce qui est normal vu qu’on ne veut donner aucun indice qu’on est dans un film dans un film. Donc oui, il y a un petit risque mais pour les gens patients, la satisfaction est d’autant plus puissante à la fin, il me semble. On a un peu misé sur le bouche à oreille qui est très bon et le succès du film japonais était dû justement à cela. Ils ont eu une sortie très spéciale, c’est un film étudiant diffusé dans une salle, il est resté très longtemps et donc ils ont vraiment eu le temps de construire un bouche à oreille. On ne peut pas sortir les films comme ça en France mais il est vrai que le mieux est d’aller le voir et d’en parler.
Le film célèbre une forme de collectif, que ce soit dans la création visuelle ou l’aspect public de la séance. Est-ce que c’est important pour vous de rappeler cet aspect collectif, aussi bien dans la création artistique que dans sa consommation ?
L’usage maintenant est en train de changer dans la façon dont les gens regardent des films. Est-ce que cela veut dire qu’il faut que nous fassions des films qu’on peut regarder sur des tablettes, seul, parce que les gens vont les regarder comme ça ? Je n’en suis pas sûr. Je pense qu’on doit continuer à faire les films, si on a la chance de le faire, qu’on peut regarder. Les salles de cinéma existent toujours, ça reste encore un loisir collectif. Je ne pense pas que ce sont des questions auxquelles il faille répondre de façon drastique. Je crois qu’il vaut mieux toujours voir une comédie en groupe. Après, oui, les gens regardent le cinéma différemment aujourd’hui. C’est difficile de lutter contre cette manière de voir les films. Je ne pense pas que ce soit un combat, en revanche on peut essayer de trouver des moyens pour que les gens retournent dans les salles et retrouvent ce plaisir de la salle.
Comment on tourne un mauvais film qui doit être crédible en tant que mauvais film tout en gardant cette sincérité dans la volonté de faire un bon film ?
C’est toute la difficulté. Tout ce qui n’est pas spectaculaire est difficile à retranscrire en spectacle. C’est compliqué par exemple de filmer l’ennui sans que ce ne soit ennuyeux. Donc là, c’est un peu pareil, c’est « comment filmer un film raté sans faire un film raté ? ». Il faut donner le signal que c’est raté mais en même temps j’ai essayé d’entretenir un intérêt dramatique un peu constant, qui change de niveau à chaque fois. Des fois, c’est l’histoire. Je me dis « bon, essayons quand même de faire avancer l’histoire », qui est celle du film dans le film. Des fois, c’est parce qu’on a des vannes, des choses qui dérapent tellement qu’elles en deviennent comiques même si ce ne sont pas des vannes absolues. Des fois, ce sont des choses étranges, qui vous font dire « il y a un truc pas normal, il va se passer quelque chose ». Des fois, ce sont des décalages marrants mais marrants sans que ce ne soit de la grosse blague, comme le fait que les personnages aient des noms japonais alors qu’ils ne le sont pas du tout. C’est un peu intriguant, on se dit que quelque chose va se passer. On rajoute aussi de l’action donc ça réveille tout le monde, on fait un changement de rythme, etc. J’ai essayé comme ça d’entretenir un intérêt dramatique encore une fois sur plusieurs niveaux tout en respectant le scénario, qui est que c’est un film qui passe à côté de lui-même. Je ne voulais pas faire une parodie avec des blagues bim bam boum, etc. car – c’est difficile sans spoiler-mais le réalisateur qui a fait ce film est un personnage du film et il ne cherche pas du tout à faire une comédie ou une parodie. Il cherche à faire un film sérieux donc c’est dans son foirage, le décalage de ce foirage, que vient se nicher la comédie et l’intérêt dramatique.

Cela amène une nouvelle forme de lettre d’amour au cinéma dans tous vos films. Vous faites passer un amour du cinéma en permanence par rapport à plein de personnages et je trouve celui du réalisateur assez beau dans sa volonté de s’échapper de la forme dans laquelle on le contraint en cherchant absolument à faire quelque chose qui vaille la peine, même s’il sait que le résultat est catastrophique. Je ne sais pas ce que vous avez mis de vous dedans, dans ce genre de personnage ?
Effectivement, The Artist est le portrait de quelqu’un qui fait des films, Le redoutable aussi tout comme ce film-ci. Dans ces trois personnages, il y a toujours la lutte entre quelque chose de très dérisoire, un peu ridicule comme ça, de peut-être se prendre un peu trop au sérieux et d’y croire un peu trop, et d’un autre côté quelque chose de très noble, une recherche d’intégrité, d’aller au bout de ce qu’on s’est fixé, etc… C’est un peu la recherche de ces deux pôles qui s’opposent. Donc oui, il y a sûrement un peu de moi là-dedans, au moins dans cette polarisation-là. Après, j’ai essayé de laisser entrevoir que le film qu’il essayait de faire aurait pu être bien. J’avais d’ailleurs le fantasme de voir ce qu’aurait donné son film. J’avais en tête ce film qu’il aurait voulu faire et c’est vrai que je l’aurais bien fait si j’en avais eu le temps. Donc il essaie au moins d’aller au bout de son idée et c’est assez héroïque d’une certaine manière, ça l’anoblit.
Votre prochain projet est un film d’animation si je ne me trompe pas. Je pense par exemple aux OSS 117 qui font très bandes dessinées. Qu’est-ce qui vous a amené à aller dans ce format ?
Alors, cela n’a rien à voir car les OSS , je crois que je comprends ce que vous me dites quand vous parlez de bandes dessinées, mais il y a ce côté aventure, ce côté héros récurrent, le type d’images, le traitement des séquences, etc. Il y a un peu ce côté-là mais c’est du cinéma en fait. Ici, c’est vraiment de l’animation 2D, du dessin animé à l’ancienne. On m’a d’abord proposé le film comme ça, il était déjà question d’en faire un film d’animation. C’est un film qui se passe durant la seconde guerre mondiale, autour des camps de concentration et même d’extermination, et cela aurait été impensable pour moi de faire cela avec des vrais acteurs, quoi qu’il en soit. Et puis le film a une dimension très onirique, c’est un conte et c’est raconté comme cela. C’est une très belle histoire, quand bien même elle se passe durant cette période de l’histoire, et l’animation permet ce traitement un peu poétique, onirique et un peu distancié dont je crois le sujet a besoin.
Entretien effectué le 24 juin durant le BRIFF. Merci au réalisateur ainsi qu’à l’équipe du festival.
Bravo. Les questions sont très pertinentes et permettent d’avoir vraiment le retour de ce que le réalisateur a dans le cœur.
Un grand merci à vous pour ce retour qui me touche beaucoup!