Le cinéma, c’est bien connu, c’est aussi fait pour éduquer. Nous rappeler les bonnes vieilles manières, ces automatismes perdus, et la place des genres dans la société. Qu’il est bon de se rappeler le manuel de La Bonne Épouse qui apprenait aux femmes, incapables de penser par elles-mêmes, à être de bonnes épouses dépendantes de leur mari, à faire de bons petits plats et surtout à maintenir la maison, noyau dur du foyer familial, en ordre. Surtout, qu’il est bon de se rappeler le jour où elles ont décidé de tout envoyer chier.
Il n’y a qu’un demi-siècle que les écoles ménagères ont cessé d’être à la mode. Il a fallu que mai 68 fasse – enfin – péter les derniers bastions de la France conservatrice pour l’emmener vers l’ère moderne, renvoyant la famille « modèle » De Gaulle au placard – tiens, marrant, le biopic sur ce cher Charles est sorti la semaine précédente ! -. Ces lieux « d’apprentissage » dans lesquels étaient envoyées les jeunes filles pour acquérir les bases du statut d’épouse, afin de se caser (avec l’aval, voire le choix, de papa, évidemment) et d’avoir une situation tranquille, ne pas devenir une de ces horribles mères célibataires, vieilles filles ou putains, représentaient l’excellence à la française.

Pour renforcer l’absurdité de telles entreprises, Martin Provost pousse ses comédiennes au cabotinage, et nous offre un trio qui nous régale deux heures durant. Si Yolande Moreau, jamais bien éloignée de sa naïveté des Deschiens, est dans son élément, on est surpris·e, subjugué·e même par une Juliette Binoche à qui la comédie va à merveille. Celle qui se fait l’égérie d’un cinéma d’auteur·ice généralement exigent, et avant tout sérieux – il n’y a qu’à citer, pour ses collaborations les plus récentes, ses différents films avec Olivier Assayas, High Life de Claire Denis ou Celle Que Vous Croyez de Safy Nebbou – s’en donne à cœur joie dans un rôle servi par une excellente écriture. Et que dire de Noémie Lvovsky en Soeur Marie-Thérèse, dont chaque apparition provoque l’hilarité totale pour cette comédienne qui bouffe le cadre dès qu’elle hausse la voix ?
Trio d’actrices parfait, chacune s’appropriant le métrage pour en tirer sa force, renforcé par toutes les étudiantes, notamment celles dont on accentue le portrait. La déconstruction des trois repères de l’institution se fait en parallèle de la découverte des plaisirs par ces jeunes filles. Plaisir du corps, plaisir de la liberté quant il s’agit de refuser les conventions patriarcales, plaisir épiphanique quand la rébellion au cœur de Paris commence à toucher cette province alsacienne, et que ces filles comprennent qu’elles deviennent maîtresses de leur sort. On se rappelle Milou En Mai, de Louis Malle, où quand l’hystérie de Lutèce créait le libertinage campagnard. Le parti pris de ne pas créer de réelles discordes, le corps enseignant représentant un obstacle qui s’étiole à son tour, envoie un message encore plus fort : quel que soit leur âge, leur éducation, leur statut marital ou leur volonté d’émancipation, toutes ces femmes sont unies dans leur libération. Chacune se défait de ses chaînes, de ces acquis imposés, et à l’image de ces carcans qui disparaissent peu à peu, le film se libère. Dans son image où les espaces s’agrandissent, mais aussi dans ses ambiances qui jouent encore plus d’humour et de ruptures de ton, jusqu’à une apothéose en comédie musicale qui utilise sa naïveté, en fait sa force, et offre un point d’orgue où nous avons envie de crier à notre tour.

Comédie vendue comme une usine à clichés, avec les mauvaises blagues dans la bande annonce, La Bonne Épouse va en surprendre plus d’un·e. On aurait pu se retrouver devant un Qu’est-ce Qu’on A Fait Au Bon Dieu version misogyne, on se voit finalement devant un film qui rit de tous ses clichés mais nous montre bien qu’ils sont ridicules. Un film qui n’hésite pas à en faire des caisses, à nous hurler son envie de liberté et d’égalité pour les femmes – si le film se déroule à la fin des années 60, et qu’il y a eu nombre d’acquis depuis, le combat n’est clairement pas terminé -, et ça fait du bien. C’est d’ailleurs cette maîtrise qui impressionne, une justesse de discours d’une droiture impeccable pour un film dont le message est pourtant très fort, et avec un ton revanchard, loin de se jouer de subtilité. On aimerait que les gros sabots aient plus souvent cette gueule.
La Bonne Épouse, de Martin Provost. Avec Juliette Binoche, Yolande Moreau, Noémie Lvovsky…1h49.
Sortie le 11 mars