Après de trop longs mois d’attente et une réouverture inespérée, le retour des salles prouve deux choses. Que malgré l’avis des amoureu·ses·x de la plateforme SVOD, le public est bien demandeur, qu’il aime s’assoir sur un siège obscur face à un grand écran, et que l’offre est toujours d’une variété impressionnante. Du cinéma, et seulement du cinéma. Des films pour tous les goûts, tous les publics, aux univers aussi riches que variés. Parmi les curiosités, il y en a qui sortent du lot, révèlent un talent prometteur, trouvent une réelle sympathie et forcent le respect. Parmi elles, Le Dernier voyage de Romain Quirot, de la science-fiction française qui demande beaucoup de débrouillardise et offre un beau moment d’imaginaire.
Quelques temps dans le futur, toute l’énergie provient d’une mystérieuse lune rouge, dont les ressources ont été pompées abondamment. Elle change alors de trajectoire, et décide de foncer sur la Terre. Paul W.R est le seul astronaute capable de l’arrêter et d’assurer l’avenir de notre monde. Mais il refuse d’accomplir sa mission et disparait dans la nature. Une traque sans répit commence, dans laquelle Paul W.R fait la connaissance d’une jeune adolescente curieuse au caractère bien trempé.

Il est bon ton de penser que le cinéma français se résume à l’argent des impôts jeté dans une turbine à comédies grossières et bourgeoises, qui se ressemblent au point de se confondre, et provoquer le rire gras. Il faudrait peut-être revoir sa copie et changer d’opinion. Chaque année, quantité d’œuvres prouvent une volonté de sortir des sentiers battus, se lancer corps et âme dans un projet créatif, qui touche des genres différents. Évidemment, le financement est compliqué au vu de l’importance d’injecter une somme conséquente pour une possible non rentabilité. Des problèmes de production et de diffusion, un tournage avec les moyens du bord, et un souci dans l’exploitation des droits. Le chemin est long, et le combat rude avant d’arriver à ses fins. Mais à force d’y croire, le résultat est bien là, et vient faire mentir quiconque pense que le franchouillard est incapable d’ambition et de voguer sur un terrain américanisé.
Le Dernier voyage porte les traces de sa production jonchée d’embûches et du manque de budget. L’œuvre semble ne pas avoir eu le temps de relecture nécessaire, ni la possibilité de s’entourer d’une équipe expérimentée, capable de palier aux petites imperfections. Il manque un peaufinage au niveau du scénario, tout n’est pas toujours très clair, et les dialogues sonnent souvent assez creux. Si l’on connait l’enjeu principal du récit et la menace qui plane sur une Terre sèche et couverte de sable, les personnages tous campés par un casting doué sont présentés sans background apparent et demeurent à errer comme de simples étrangers. Mais s’il y a bien quelque chose de frappant, c’est le talent de la jeunesse et la révélation d’une génération de cinéastes qui en a à revendre. Un premier film n’est jamais quelque chose de facile à réaliser, surtout lorsqu’il s’inscrit dans la continuité d’un court-métrage. En 2015, Quirot présente Le Dernier Voyage de l’énigmatique Paul W.R., primé dans de nombreux festivals. La frontière est mince dans l’effet court-métrage étiré, et la fausse bonne idée de développer une intrigue sur près de 90 min. Pourtant, bien loin de se perdre, le film étoffe son propos principal, et parvient à le dépasser. De même qu’un mélange de bande-son pop moderne et de musiques françaises qui se marient étonnamment bien avec l’image et le style visuel, sans verser dans l’idée clipesque de publicités futuristes pour marques automobiles.

Les références et inspirations que Le Dernier voyage convoque, la littérature poétique et imaginaire de Ray Bradbury, Blade Runner et sa vision de la société, l’idée d’une lune prête à dévorer notre monde comme Melancholia, à un certain goût d’apocalypse de Mad Max, sont gommés par un charme singulier et une touche d’émotion qui donnent une identité propre au métrage. Romain Quirot et son équipe, biberonnés par la fiction et ses ainés, savent imprégner, digérer, et proposer un ailleurs qui ne se contente pas d’être une pâle copie. Le côté amateur, avec une grande débrouillardise technique ouvre les portes de l’onirisme. Le Dernier voyage est beau, élégant, il cherche toujours à montrer quelque chose, se réinventer, offrir un contenu visuel envoûtant. Parce que la science-fiction c’est l’art de l’imagination, penser et comprendre le futur, être transporté, de l’inexplicable, du tout est possible. Le road movie, et la traque du héros ne s’arrêtent seulement que sur quelques kilomètres. Il y a une attente de voir un peu plus, de découvrir d’autres lieux et de savoir ce qu’il se passe pour une population éloignée. L’horizon est lointain, paraît sans limites, et donne une envie de continuer ce dernier voyage, pour saisir ce qui se cache derrière cet univers intriguant.
L’adulte devient comme un gamin en apesanteur, devant un mix d’une fable pour petits et grands et des prémisses d’une bande-dessinée aventureuse. Une Tour Eiffel écrasée, un Paris qui n’existe plus comme on le connait, et des souvenirs qui ressurgissent, du Tykho Moon d’Enki Bilal et sa demie Dame de fer dans un monde lunaire. La Science-fiction et sa french touch intimiste, décalée, non des plus spectaculaires, mais qui porte haut le savoir-faire maison, avec beaucoup de délicatesse, la vision de passionné·e·s, et l’envie de surprendre.
Le Dernier voyage de Romain Quirot. Avec, Hugo Becker, Lya Oussadit-Lessert, Paul Hamy, Jean Reno… 1h27. En salle depuis le 19 mai 2021.