Antoine de Saint-Exupéry a dit : « les vrais miracles font peu de bruit ». Avec tout cet orchestre braillard qui ne cesse d’hurler à l’œuvre novatrice, à la claque esthétique, le miracle signale trop sa présence pour être crédible, avant même de découvrir son contenu. Il y avait pourtant une idée avec Les Éternels, quelque chose qui pouvait sembler différent. Un récit cosmique, fait de demi-dieux/déesses qui prônent le gigantisme, les astres, une bataille beaucoup trop grande pour qu’un simple être humain y participe. Enfin, les aéroports et autres entrepôts de pays de l’Est sont délaissés pour un peu de composition. Au bout de 2h37, la déception est encore là. Mais pourquoi parler de déception chez Marvel, alors que la même soupe passe toujours mal à la digestion ? C’est le mystère d’une industrie qui te laisse croire. Le résultat est là, Les Éternels n’est pas la révolution d’un univers qui en a marre de raconter constamment la même chose, ni la singularité qui souffle un vent de fraîcheur. Un courant d’air anodin qui se dissipe en quelques instants.
Il faudrait peut être un jour songer à coller le nom de Kevin Feige directement sur l’affiche. Le boss de Marvel a le don de mettre en avant des auteur·ices arty, identifiable par une certaine patte, pour les laisser couler dans une machine trop importante. Mais pour suivre la mouvance, se greffer aux tendances, des jeunes cinéastes sont toujours appelé·es à coup de gros chèques et de projecteurs pour apposer leurs étiquettes aux côtés du « divertissement ». Inconnue en signant pour le projet des Éternels, Chloé Zhao depuis oscarisée avec Nomadland est entrée dans une autre dimension. Forcément, l’attente s’est renforcée pour savoir ce qu’elle pouvait apporter sur un budget de 200 millions de dollars. Passer de quelques pièces de monnaies à des billets verts qui pleuvent n’est jamais simple. Pas la même façon de travailler, pas les mêmes enjeux, pas le même regard sur une œuvre qui n’appartient pas à son/sa réalisateur·ice. Toutes les qualités propres à la cinéaste passent à la machine à laver. Il en ressort des bribes de talent qui ressemblent trop peu à ce qui la caractérise.

La campagne marketing et les images montrées avant la sortie du film devaient mettre la puce à l’oreille. Ce qui est fade ne devient pas incroyablement stimulant. Ce n’est pas des gros plans, des couchers de soleils, des étendues désertiques et une volonté de laisser place aux échanges plutôt qu’à l’action, qui en font une œuvre du renouveau. La façade et la promesse ne tiennent pas, et ce dès les premières lignes de dialogues. 2h37, des face à face entre duos de personnages constamment « désolés », qui creusent dans la niaiserie. Si la durée du métrage est présentée comme un argument pour introduire dix nouveaux·velles héro·ïnes, encore faudrait-il savoir quoi en faire. Les deux tiers sont soit inutiles, soit inintéressant·es, soit ont des enjeux inexistants. En quelques secondes, Kingo et son valet reflètent tous les clichés imbuvables. L’acteur digne d’un coussin péteur usagé sert de source comique qui ne met pas une seule blagounette dans le mille. L’indien qui se trouve forcément à Bollywood, au lieu d’une terrasse de coin de rue. Pire, Les Éternels et sa destinée tragique, son ampleur voulue, la gravité de son propos, ne laissent jamais place à la dramaturgie. Lorsque la mort doit prendre le pas, le désamorçage se lance avec une vanne sortie des enfers de l’humour. Il faut bien faire rire le public et garder l’identité familiale qui ne doit ni trop choquer, ni provoquer une seule goutte de tristesse sur les visages. On se demande le degré de courage pour se décider à mettre une scène de sexe entre deux êtres qui se désirent. Les effets de pouvoirs inhumains et mythologiques ne provoquent jamais de conséquences irrévocables. Tout paraît se régler d’une certaine manière, en un claquement de doigt le monde peut être sauvé, en un froncement de sourcil, la souffrance se transforme en amusement.

Marvel semble ne pas savoir quoi faire de sa nouvelle rampe de lancement de la phase IV du MCU. Le groupe de super-héro·ïnes s’organise comme une redondante famille dysfonctionnelle où chacun·e à ses questionnements, ses préoccupations, ses zones d’ombres. Mais il est impossible de s’attacher à un casting qui ne provoque aucune émotion, qui paraît froid et désincarné. Richard Madden, tête d’affiche et versant mollasson d’un superman, n’a rien a dégager. L’excuse se lit sur ses lèvres, il ne sait pas où aller, il ne sait pas quoi mettre en avant.
Avec une grande idée de représenter la diversité dans l’origine et l’ouverture sur un échantillon du monde, Marvel avec grossièreté se prend les pieds dans le tapis. Heureusement que les films évoluent avec leur temps, mettent en avant des changements, des prises de conscience, mais la lourdeur cosmique enlève toute bonne intention. Pourtant il suffit d’un premier super-héros gay des plus intéressants, injustement oublié au fond du placard pendant quasi toute la durée du film, pour rendre l’instant touchant. Lorsque dans les derniers moments, l’armure se fend, le mal-être ou la sincérité de personnages et « déviants » font surface, le film dévoile enfin un peu de sa vraie nature. Des idées, de la réflexion, même si ce n’est que pour l’espace d’une poignée de secondes. Le climax en profite pour ne pas jouer la surenchère numérique, découpée à la hache et illisible, pour être plus simple et réfléchi.

S’agit t-il d’un film qui raconte la fin d’un monde, d’une ouverture sur un cosmique infini ? S’agit-il d’un drame intime au plus proche du sol où les conflits se jouent dans la tête des personnages ? Les Éternels est schizophrénique, ouvre plusieurs portes que Marvel va avoir bien du mal à diriger dans la bonne direction, avec un groupe qui ne fonctionne que lorsque tous ses membres se coordonnent. La critique et le public ne sont pas d’accord, certain·es y voit une énième bouillie, et d’autres un tremblement de terre dans le MCU. Dans tout ça, c’est le géant américain qui déroule sa conception du « cinéma », celle qui oublie cruellement de laisser la main aux artistes.
Les Éternels, de Chloe Zhao. Avec, Gemma Chan, Richard Madden, Salma Hayek… 2h37.
Sorti le 03 novembre 2021.