Le réalisateur Ryan Braund est le genre de personne qui a tendance à nous énerver. C’est celui qui pendant le premier confinement s’est lancé dans la création d’un long-métrage d’animation, alors que d’autres ont eu l’impression d’avoir vécu dans un trou noir où peu de choses en sont sorties. Absolute Denial est un film d’animation rotoscopé à l’épure déconcertante, qui a séduit Annecy et le PIFFF. Nous découvrons une œuvre de l’ordre de l’expérimentation, visuelle et narrative, qui amène un questionnement en phase avec la transition technologique que nous vivons actuellement.
Nous suivons l’histoire de David, informaticien qui décide de créer une intelligence artificielle dans un hangar. De toute évidence, rien ne se passe comme prévu. David a une copine et des amis, mais préfère s’en éloigner pour se plonger corps et âme à sa création. Il existe entre Ryan et David un lien fort et intriguant. Ils semblent vivre une expérience particulièrement similaire, dans la mesure où chacun fait face à une solitude forcée pour le premier et choisie par le second. Chacun a pour objectif de donner vie à une création, un film d’animation ou une intelligence artificielle. Ces deux choses ont en commun qu’elles s’émancipent, à un moment donné, de leur créateur. Cette idée d’émancipation est la plus grande crainte pour son auteur/créateur.
Absolute Denial est un film passionnant, qui a de génial son traitement des thématiques qui ne se limite pas à un récit sur les limites de l’IA. Au contraire Ryan Braund relie ce sujet à l’artiste, à la création et joue sur une dualité entre David et l’IA (qu’il a nommé avec finesse “AL”). Rien d’autre n’existe en dehors d’eux, à part deux-trois lambdas. On ne voit personne, on n’entend que la voix off de David. Sa copine et ses amis existent par l’intermédiaire du téléphone, et ne sont alors jamais réellement là. La juxtaposition des deux sujets enrichit le film qui décide de partir dans le vraisemblable, dans un mode explicatif apporté par la voix de David qui explique et explore sa vision et son point de vue quant à l’intérêt de IA.

Une question plane : à quel moment l’IA va prendre conscience ? On est obligé de faire le rapprochement avec Ex Machina d’Alex Garland qui aborde à travers le test de Turing la simulation de conscience par une intelligence artificielle. Les deux films ont en commun l’intelligence des dialogues dans les échanges entre l’IA et l’humain, où le monde des possibles s’offre à l’imaginaire du spectateur. Chaque réaction de l’IA amène un mélange d’inquiétude et de curiosité quant à l’évolution d’AL. On pourrait reprocher au film une approche trop didactique à son point de départ, mais c’est vite pardonné quand on découvre le film dans son entièreté.
L’animation n’est pas en reste, tant elle fascine et s’ancre si facilement à cet univers froid et inhospitalier. Les nuances de gris apportées au décor, particulièrement aux machines, et le corps blanc et épuré de David amène beaucoup de personnalité à cet univers qui oppose avant tout l’homme créateur et sa création. L’angoissant dessin gagne en intérêt vers la fin du récit, quand tout s’emballe dans un délire psychédélique. Quand on y découvre le pot aux roses, ce dessin si droit, si linéaire se tord, se mélange et abandonne l’aspect rationnel d’origine pour pousser à la découverte d’un intangible dans ce qui touche la création.
Il y a des séances surprenantes, où le postulat de départ semble proposer quelque chose de générique pour finalement nous surprendre dans sa technique d’animation, ses thématiques et ses choix d’expérimentations dingues. Ce film est arrivé à point nommé, après des périodes de confinement, celui-ci questionne ainsi à point nommé les créatifs et leur rapport masochiste à leur œuvre.
Absolute Denial, de Ryan Braund. Avec Harry Dyer, Nick Eriksen, Heather Gonzales…1h11