Versatile dans ses choix et dans le déroulé de sa carrière, François Ozon surgit pour prendre toujours au dépourvu. Une sorte de Soderbergh français dans sa manière de moduler ses genres avec une certaine aisance. Du très bon, du passable et du tristement loupé pour un rythme de croisière de quasiment une œuvre par an. En étant aussi prolifique, difficile d’être constant dans la qualité. Pourtant, après un éblouissant Grâce à Dieu, et l’estivalier premier amour Été 85, Tout s’est bien passé arrive pour être le résultat d’un tiercé gagnant. Il n’en est rien face à une pâle fiction sans intérêt et platement filmée.
Adaptation du roman éponyme d’Emmanuelle Bernheim, Tout s’est bien passé raconte comment l’écrivaine et scénariste a aidé son père à trouver la mort après un AVC, désireux de s’en aller car il ne pense plus avoir une place dans ce monde. D’abord mis en forme de documentaire par Alain Cavalier, François Ozon se saisit du scénario après la mort de Bernheim d’un cancer en 2018. Semble-t-il vouloir rendre hommage à l’une de ses fidèles collaboratrices sur 4 longs-métrages. Faut-il considérer qu’un film est réussi uniquement parce qu’il choisi de traiter un sujet qui peut toucher chacun·e d’entre nous ? Parce qu’il essaye de capter des émotions et ressortir un moment qui se veut bouleversant ? Non, car quand bien même la fin de vie et le choix de vouloir se laisser partir est indéniablement déchirant, il ne faut pas oublier que derrière il y a un film, et donc du « cinéma ». Faire pleurer et rire est une chose, proposer une réflexion par l’image, la mise en scène, l’inventivité des scènes et de la création en est une autre. La fin de vie est un sujet délicat car ridiculement tabou. Interdit en France, le suicide médicalement assisté prend une place importante dans les débats de société. Entre réfractaires et convaincu·e·s, la légalisation de l’euthanasie est en bonne voie pour suivre le modèle de voisin·e·s européen·ne·s . La culture et le cinéma se sont saisis de cette thématique pour proposer des œuvres diverses et personnelles. La mort qui se nomme Amour chez Haneke, Mar Adentro chez Alejandro Amenabar, ou encore plus récemment Blackbird de Roger Michell. Difficile de se saisir d’un terrain sensible pour le traiter avec suffisamment d’audace et ne pas tomber dans le tire-larme à outrance, bien trop conventionnel.

Ozon ne parait pas un seul instant inspiré par son propos. Si la tentative est louable de vouloir parler du suicide médicalement assisté et ses conséquences sur une famille, il n’y a aucune envie. Comme un écolier en jeûne de Chocapic, l’énergie de cinéma disparaît pour un puits de mollesse. Fainéantise de faire un effort de composition de cadre, de variation des scènes, de proposition visuelle. Une discussion dans une chambre de clinique, une discussion au téléphone, une discussion sur le canapé, une discussion au restaurant, une discussion sur une table d’hôtel… Emmanuelle est une romancière épanouie, sa famille côtoie l’art et ne demeure guère en sécheresse d’argent. Comme le dit son père Antoine avant d’être transporté à Berne pour mettre fin à ses jours : « Mais comment font les pauvres ? » C’est vrai ça, comment font-ils pour transiter vers un autre pays et avoir recours à l’euthanasie ? Une question essentielle du haut du petit monde de la bourgeoisie parisienne. Tout s’est bien passé est un enchaînement de champs contre champs, comme une fiction TF1 qui se respecte. La case du lundi ou jeudi en prime time « mise en image sous forme de téléfilm de l’actualité sociale » pourrait très bien accueillir le dernier Ozon, que le public n’y verrait que du feu.

Le casting n’est pas à blâmer et tente de s’en sortir comme il peut dans des situations où chaque regard, chaque gestuelle et émotions semblent exagérées et poussées pour en faire de l’acting théâtral. De même que le ton du film, qui oscille entre la tragédie, le comique et le gaguesque s’en savoir où réellement se placer pour trouver une justesse et un équilibre. Évidemment qu’une personne en fin de vie, et qui a choisi de mourir souhaite sourire, continuer à être heureux·se et garder un peu de soleil, mais il manque ici un point de vue, un regard personnel, une approche d’un cinéaste et son observation sur la question. La culture a son mot à dire pour faire avancer le débat, lui apporter un angle de questionnement et mettre en forme les craintes de la société. Ozon suit les pages du livre pour rester le plus sincère avec la teneur du roman, et ne veut jamais surpasser les mots et les pensées de son autrice. Or, adapter une œuvre devrait être lui proposer une nouvelle lecture. Un peu d’humour et une fin sous une intrigue policière ne font pas un geste infini de cinéma et de singularité. Les sursauts d’humanité qui caractérisent habituellement le cinéma de l’auteur sont trop peu présents face au classicisme ambiant.
Pourtant François Ozon est capable de transcender son sujet, lorsqu’il l’anime et lui donne envie de s’investir. Le cinéma du fait d’actualité lui offrait le merveilleux Grâce à Dieu, sur un sujet brûlant et préoccupant d’affaires de pédophilie dans le milieu ecclésiastique. Il ne s’agit pas de capacité et de talent de cinéaste, mais d’intérêt. Il suffit de regarder de plus près les sous thèmes de Tout s’est bien passé pour se rendre compte que son réalisateur est plus concerné par l’homosexualité d’Antoine et les rapports masculins, que la caractérisation et la profondeur d’écriture de ses filles, jamais intéressantes et réduites à être des enfants mal considérées qui se démènent pour aider le paternel. De même que ramener Charlotte Rampling, pour 5 minutes de tournage et trois phrases décrochées. Tout est là le problème, entre ce qui captive réellement, et ce qu’on n’a pas envie de développer. Tout ne s’est pas très bien passé pour le/la spectateur·ice qui subit un mauvais film.
Tout s’est bien passé de François Ozon. Avec, Sophie Marceau, André Dussollier, Géraldine Pailhas, Charlotte Rampling… 1h52
Sortie le 23 septembre 2021.