Sortie en octobre dernier, la première saison d’Interview with the Vampire reprend l’essentiel de l’intrigue du premier livre de la série des Vampire Chronicles d’Anne Rice. Le roman, sorti en 1976, a déjà connu les affres d’une adaptation à la qualité plus que douteuse en 1994, mettant en scène Tom Cruise et Brad Pitt. L’histoire suit Louis de Pointe du Lac (Jacob Anderson), un riche homme vivant à la Nouvelle-Orléans en 1910 et relate sa rencontre et sa relation avec Lestat de Lioncourt (Sam Reid), vampire à la fois amant, créateur et abuseur de Louis. Cette nouvelle vision du roman prend le pari de la lenteur narrative pour développer l’essentiel de l’histoire : les personnages et leurs dynamiques.
Dans l’ère du temps, la série fut décriée dès l’annonce du casting de Jacob Anderson, acteur noir, dans le rôle de Louis. Pourtant, ce choix cristallise un exemple parfait de la bonne représentation des minorités, non pas seulement pour en avoir ajouté au casting principal, mais pour en avoir fait tout un pan de l’histoire. Dans le roman, Louis est blanc et possède une plantation d’esclaves noirs lorsque Lestat le transforme. Avec du recul, il est difficile, dans une adaptation qui se doit de condenser l’œuvre, de voir comment cet élément sert une vision qui fait de Louis, narrateur peu fiable, un héros tragique humanisé. L’obsession des auteur·ices à vouloir placer leurs vampires romantisé·es au cœur de tendances esclavagistes est un autre débat. La série fait donc le choix d’acteur·ices noir·es pour Louis et Claudia, ajoutant une couche de complexité entre les deux mais également dans leur relation avec Lestat. Ce dernier représente la figure ultime de l’homme blanc insouciant et fondamentalement incapable de reconnaître ou d’accepter le racisme que même l’immortalité de Louis et Claudia ne peut surmonter.
La scène où Lestat transforme Louis dans le premier épisode montre assez bien les niveaux de lecture sur lesquels la série joue constamment. Louis, désespéré, se réfugie dans une église pour se confesser de son amour pour Lestat. Ce dernier arrive et massacre tout le monde avant de déclarer son amour pour Louis. La scène joue sur la longueur, montrant en quelques minutes seulement le côté bestial des personnages et leur vulnérabilité émotionnelle. “Be my companion, Louis.” : en une phrase, Lestat offre acceptation, amour et reconnaissance à Louis, tout ce que ce dernier a cherché au cours de sa vie. La mise en scène dans l’église, en plus d’adhérer avec outrance et ironie au style d’Anne Rice, met en abîme ce début de relation. Elle implique une certaine notion de renaissance et de baptême du feu pour Louis. Le parallèle est ainsi fait entre le vampirisme et l’homosexualité aux yeux de Dieu. La présence dans l’église de ces deux hommes queer et, d’un point de vue religieux, vampires démoniaques, est-elle synonyme d’affront ou d’acceptation ultime ? La caméra elle-même semble faire de Lestat une culpabilité constante pour Louis, l’un n’étant rarement à l’écran sans l’autre. Ajoutant à cela une esthétique gothique à souhait, la série se distingue par son aspect visuel particulièrement travaillé. Des costumes qui servent d’ancrage à l’évolution mentale d’un personnage comme Claudia, à l’agencement de la maison de Lestat, à la fois terrain de liberté et prison, tout sert l’évolution des personnages et de leurs dynamiques communes. Rarement, si ce n’est dans de mineures incursions plus récentes, n’ont été les vampires à l’écran aussi paradoxalement humain·es.
Ces changements apportent tant de richesse aux relations des personnages et à l’histoire que même la source d’origine peine à rivaliser. Nous passons ici d’une relation entre deux hommes dont la seule source de conflit est morale et dont l’attachement tient plus d’une parenté toxique, à une vraie romance assumée et complexe, aussi bien dans sa représentation individuelle que globale des personnages. Loin du cabotinage de Tom Cruise ou de l’abomination de la reine des damnés, le Lestat de Sam Reid épouse à la perfection toute la complexité de la plume d’Anne Rice. Moins psychopathe que dans d’autres versions, ce Lestat est tapageur dans la seule volonté de cacher la faiblesse qu’il partage avec Louis et qui constitue la toxicité de leur relation : la peur de la solitude. Ce trait s’exprime plus ouvertement dans le jeu de Jacob Anderson, dont l’alchimie avec Reid emplit de tension chacune de leurs scènes en un regard. Notons également le talent incontestable de la jeune Bailey Bass (récemment vue dans le second Avatar), impressionnante de charisme et de versatilité en Claudia.
Faisant le pari de la lenteur, cette nouvelle adaptation du roman d’Anne Rice bénéficie d’une écriture riche ajoutant une grande complexité aux personnages ainsi qu’à leurs relations. La série joue constamment le double jeu de la métaphore du vampire pour l’homosexualité ainsi que les relations abusives. Ajoutant à cela une esthétique travaillée osant même le sanglant et une ambiance gothique macabre, il est difficile d’imaginer une autre adaptation d’Interview with the vampire faisant autant honneur à sa source d’origine. Une seconde saison, reprenant la deuxième partie du roman, est déjà en tournage et attendue pour l’automne 2024.
Interview with the vampire créé par Rolin Jones. Avec Jacob Anderson, Sam Reid, Bailey Bass.
1 saison de 7 épisodes.