À la simple évocation du nom de Vlad Tepes, ou de son titre encore plus célèbre de Comte Dracula, toute une imagerie et un symbolisme vampirique s’invitent dans notre esprit passant du château dans les montagnes à son hypnotisme troublant sans oublier les inquiétantes créatures à son service. Pourtant Renfield, le dernier-né des longs-métrages exploitant le mythe popularisé par le roman de Bram Stoker, ne fait pas du seigneur des vampires le personnage principal de son récit. En choisissant R.M. Renfield, l’esclave psychotique du comte comme héros de son œuvre, Chris McKay (Lego Batman, The Tomorrow War) prend le contre-pied des attendus archaïques du vampire pour aborder un thème plus que jamais d’actualité : les relations toxiques.
Quatre-vingt-dix ans après avoir rencontré le comte Dracula dans son château de Transylvanie et être devenu son esclave servile, R. M. Renfield est las de son quotidien. Rendu immortel par l’ingestion régulière d’insecte et réduit à serviteur du vieux vampire capricieux, Renfield cherche sa libération en partageant (à mi-mots) son histoire avec un groupe de parole destiné aux victimes de conjoints abusifs. Une quête vertueuse qui ne convient pas à son maître qui ourdit un plan de domination du monde.
Si l’on peut croire à tort que l’inspiration première de Renfield est le roman de Bram Stoker (dont le héros qui se rend en Transylvanie est Jonathan Harker et non R. M. Renfield), force est de constater que sa source première vient plutôt du long-métrage de 1931 dans lequel Bela Lugosi offre une interprétation exubérante du vampire. Faisant de ce dernier l’histoire originelle de son long-métrage, qui en devient presque une suite intrinsèque, Chris McKay s’assure une lignée référentielle traversant plusieurs générations qui restent aujourd’hui encore médusées par les yeux brillants de Bela Lugosi s’adressant à ses victimes humaines. Une scène d’anthologie que le réalisateur s’amuse à recréer (ainsi que quelques autres) dans son récit introductif avec un montage entraînant nous rappelant les différentes étapes de la vie de R. M. Renfield.
Un propos liminaire qui nous plonge directement dans le thème et dans le genre du film, une comédie noire sur la relation toxique qui peut lier une personne à une autre, ici un vampire et son serviteur. Impossible de ne pas penser aux itérations filmiques et sérielles Vampires en toute intimité/What We Do In The Shadows de Jemaine Clement et Taika Waititi où le personnage de Guillermo se fait l’apanage de la servilité désabusée. Un thème assez novateur pour le genre qui s’attarde bien plus souvent sur la relation entre le vampire et sa jeune et jolie proie que sur la relation qui le lie avec son serviteur. Thème que l’on peut étendre à l’ensemble des personnages, car tous semblent prisonniers d’une relation toxique dont ils ne trouvent aucune issue. Que ce soit au travers du fils de la matrone mafieuse n’arrivant pas à s’émanciper des attentes maternelles, ou de l’enquêtrice portant le deuil d’un père et de l’idéal qu’il lui a insufflé, Renfield nous enseigne que la toxicité des relations peut prendre des formes bien diverses et s’insinuer dans tous les liens, familiaux, amicaux ou même vampiriques.
Drôle et référencé, Renfield s’annonce comme une bonne idée à la réalisation tonique et stimulante. Malheureusement, sa plus grande force devient sa faiblesse par manque d’exploitation efficace de son sujet. Le thème de la toxicité s’impose en filigrane des relations, mais cède rapidement sa place à son histoire, prétexte au mélange des différents schémas toxiques. En ressort une pseudo-enquête policière elle aussi consciente de ne servir que de faire-valoir à des scènes d’action survitaminée où les explosions corporelles rivalisent avec l’humour décalé. Une dissonance qui nous fait passer un bon moment, mais n’offre pas un divertissement suffisamment marquant pour élever le propos du film.
Autre écueil de Renfield dans le traitement de son sujet, et non des moindres, l’écriture de son héros. S’il est conscient de l’emprise de son maître et de la malignité de celle-ci, sa réflexion le pousse progressivement vers la conclusion qu’il mérite son sort en raison de sa corruption morale. À sa manière, le long-métrage rend la victime en partie responsable à la place de son abuseur. Si, comme le vampire, une personne abusive peut profiter d’une invitation mal avisée pour entrer dans la vie d’une personne ou se servir de ses turpitudes pour assurer son emprise sur elle, cela n’inverse jamais les responsabilités dans la relation destructrice. Un principe que l’œuvre semble à la fois comprendre et mal restituer dans son écriture des personnages abusés. Dommage, mais ce n’est malheureusement pas le premier long-métrage à s’écorner sur le sujet.
Porté par une bonne idée et par les interprétations magistrales de Nicholas Hoult et de Nicolas Cage, Renfield est une petite parenthèse foutraque et sympathique à l’humour efficace, mais qui ne parvient pas à s’élever au niveau de ses prétentions annoncées. Sans bouder notre plaisir de suivre cette petite bande exaltée, pas sûr que cette nouvelle adaptation passe le cap de l’énième opus du comte aux dents longues pour tirer son épingle du jeu. En reste une exploitation nouvelle du personnage psychotique mangeur d’insecte de Bram Stoker qui, on l’espère, continuera à être décortiqué pour en extraire la substantifique moelle.
Renfield de Chris McKay. Écrit par Ryan Ridley. Avec Nicholas Hoult, Nicolas Cage, Awkwafina… 1h33
Sorti le 31 mai 2023 en salles