Plaisir et excitation. S’il fallait choisir deux termes pour décrire les réactions face à l’annonce d’un nouvel Almodovar, les voici tous trouvés. À 69 ans, l’immense cinéaste espagnol continue de déchaîner les passions, de manière totalement méritée. Au vu de sa carrière, la question sur la qualité de son travail ne pose aucun doute : Pedro Almodovar a-t-il déjà réalisé un mauvais film ? Il y a forcément des choses plus faibles, des écarts plus légers (Les Amants Passagers, qui reste une comédie potache brillamment exécutée), mais rien que l’on ne puisse retenir à charge tant l’auteur est d’une ambition et d’une intégrité idylliques. Le voir renouer avec Cannes, avec qui il a souvent flirté, fait naître tous les espoirs, surtout quand au vu du synopsis, on sent un part autobiographique.
On suit Salvador Mallo (Antonio Banderas), réalisateur sur le déclin de carrière, qui pense avoir tout dit au travers de ses œuvres, et décide de faire le point. Sur ses capacités, sur ses souvenirs, ses rencontres, sur lui-même. À travers des retrouvailles avec des personnes qu’il n’a pas vu depuis longtemps, que ce soit de manière réelle mais aussi par le prisme de ses souvenirs (quant à eux oscillant entre le réel et le fantasmé), il se découvre, se détruit et se sauve, mais surtout raconte une histoire de vie passant par toutes ses phases, et comme le dit si bien le titre, la douleur et la gloire. Almodovar ne peut que profiter d’un tel scénario pour insuffler des moments de sa propre vie. Probablement plus dans le caractère, les joies et les doutes de son héros, que dans les faits et moments montrés, il livre une oeuvre personnelle où tout·e auteur·ice peut se retrouver.
Au service de son histoire, la réalisation est impeccable. On n’avait aucun doute quant aux capacités du réalisateur, mais la confirmation est telle que l’on parvient à se faire emporter rapidement par la douceur et la volupté du propos, qui effleure sans cesse la grâce. Toujours habile par ses dialogues, qui n’en disent jamais trop, les messages coulent, sans être insistants, l’essentiel est dit et le reste est montré. On retrouve un Antonio Banderas habité, qui n’est jamais aussi bon que lorsqu’il est avec Almodovar. Les personnages qui gravitent autour de lui, peu nombreux au final, sont tous essentiels, importants, et les femmes sont sublimées. Tout tourne autour d’elles, elles qui sont le matériau de forge, celles qui vont construire par leur force et leur conviction l’identité de Salvador. Sa mère, joué par les fabuleuses Penelope Cruz et Julieta Serrano, est le terreau sur lequel toute l’histoire de construit. Portrait d’un homme qui, comme sait si bien le faire l’ami Pedro, est avant tout un portrait de femme(s).

Par sa mise en scène, le choix des plans, des couleurs toujours chatoyantes, Douleur et gloire joue à se perdre entre réalité et fantasme. Les choses qui peuvent sembler étrange (le premier émoi sexuel de Salvador, par exemple), sont justifiées et expliquées par le miroir du fantasme, le fait que lorsqu’il narre lui-même son histoire, il n’en donne qu’un souvenir tronqué ou une idylle imaginaire teintée des faits avérés, déformés avec le temps. C’est ce ton qui arrive à offrir la force à un métrage mélancolique, qui joue peu de son humour, et devient une grande fresque, celle de la vie, la mort, et l’entre-deux, d’une richesse incroyable pour chacun·e.
On retrouve surtout beaucoup de Pedro Almodovar. Loin de ses oeuvres provocatrices et sulfureuses, on y retrouve du Tout sur ma mère, du Volver, de ses films plus “sérieux” et intimistes qui font aussi partie de son cinéma. Salvador est une partie de ce réalisateur qui a besoin de puiser en lui-même pour retrouver une ultime inspiration, celle de reprendre la caméra et de ne jamais cesser de tourner. En cela, la crainte d’une oeuvre testament s’efface vite, et maintenant qu’il se profile déjà à l’horizon, on attend de découvrir El Silencio De Los Otros, le prochain chapitre, avec une impatience folle.
Douleur et Gloire de Pedro Almodovar. Avec Antonio Banderas, Asier Etxeandia, Leonardo Sbaraglia… 1h52
Sortie le 17 mai
[…] est mis en avant, si ce n’est pour le bien de questionnements autobiographiques comme le fabuleux Douleur et Gloire. Au contraire, Almodvar semble s’être engagé à magnifier ses actrices et les personnages […]