À la base de ce documentaire, sa réalisatrice Payal Kapadia a retrouvé au fond d’un placard une boîte remplie de lettres, de cartes mémoires et de coupures de journaux. Ces mystérieuses lettres sont seulement signées d’une certaine L. De ce matériau de base, la réalisatrice s’attelle à un travail de recherche et de reconstitution en utilisant ces éléments. Presque un travail d’archéologue d’une justesse rare et qui va bien au-delà du travail historique.

Tout commence par des allures de conte aux élans romanesques rappelant Roméo et Juliette. Une longue correspondance s’établit entre L et K entre phrasés poétiques et anecdotes sur la vie quotidienne de chacun. Ils s’aiment mais ne peuvent se voir car K est enfermé chez lui par ses parents. Malgré la distance et les obstacles qui les séparent, L et K croient en leur amour. Les images qui défilent à l’écran avec leur gros grain et leur noir et blanc parfois flou laissent entrevoir une vie étudiante faite de musique et de danse. Ces courts extraits nous ramènent à notre propre quotidien, à l’image de ces pastiches et ces vidéos éphémères qu’on se plaît à poster sur les réseaux sociaux, témoins d’une vie optimiste.
Pourtant, à mesure du récit et des lettres échangées, le ton change. Leur amour se fait moins intense, K répond avec de moins en moins d’enthousiasme tandis que L a des choses à dire, beaucoup de choses. Les nuits de rêveries et de poésies sont rattrapées par la réalité, celle de la violence. Le romanesque laisse place à la colère et au brûlot politique. L nous explique la répression qui s’exerce dans son pays, la condition précaire des femmes et des étudiant·es, la montée dangereuse du nationalisme hindou, des étudiant·es tué·es pour leurs convictions politiques, des étudiant·es qui se suicident… Cette réalité vient nous frapper en plein visage alors que la première partie du film nous berce tranquillement. Piqûre de rappel pour un pays dont on entend finalement très peu parler dans les médias malgré une situation qui semble au bord de l’implosion. Les images de violences policières et de rixes se succèdent à un rythme effréné.
Repartie avec L’Oeil d’Or (prix récompensant le meilleur documentaire au Festival de Cannes toute catégorie confondue), Paya Kapadia s’inscrit déjà comme une réalisatrice engagée à travers un documentaire aussi romanesque que cauchemardesque.
A night of knowing nothing de Payal Kapadia. 1h37