Pour leur premier long-métrage, Jeanne Aslan et Paul Saintillan nous proposent un petit moment hors temps et sans jugement avec Fifi. Céleste Brunquell y incarne le personnage principal à la frontière entre l’enfance et l’adolescence naviguant entre deux mondes distincts. Loin de vouloir une approche manichéenne entre ces deux mondes sociaux, les cinéastes proposent un regard tendre sur les premiers émois de cette jeune fille qui veut s’extraire du milieu de ses parents en partant vers l’inconnu.
Fifi, c’est l’histoire d’une jeune fille habitant un HLM à Nancy avec sa mère, sa sœur (et ses enfants) dans une ambiance chaotique. Elle croise par hasard à la boulangerie son ancienne amie Jade qui l’invite chez elle. En douce, elle prend l’un des jeux de clés et vient passer quelques temps dans leur maison du centre-ville qu’elle pense inoccupée. Un soir, elle tombe sur Stéphane, le frère aîné de Jade, rentré de manière inattendue et qui accepte qu’elle vienne se réfugier dans la maison quand elle le veut.
Ce regard posé sur les relations entre classes sociales et sur les premiers amours est le sel de Fifi. Jeanne Aslan et Paul Saintillan ont accepté de se confier sur leur volonté d’éviter tout misérabilisme ou manichéisme dans leur histoire ainsi que sur le rôle des premiers amours dans notre construction.
Fifi est une jeune fille introvertie, qui ne se laisse pas faire mais qui accepte de se confier comme jamais à Stéphane dans une relation qui lui semble presque unique.
Unique à l’âge qu’elle a, sûrement oui. Fifi, contrairement à Stéphane, ne parle pas beaucoup. Elle ne s’exprime pas beaucoup et directement aux autres dans le film. Elle ne dit pas grand-chose mais quand elle parle à Stéphane, ça peut faire mouche parce qu’elle met le doigt où il faut. Ses sentiments passent davantage par le regard car s’il y avait une démarche volontaire de notre part, c’était d’aller à l’opposé de la représentation des jeunes filles adolescentes que l’on voit beaucoup au cinéma depuis quelques années avec une grande gueule, piquante, un peu égoïste… Il y avait surtout l’envie de parler d’une adolescente un peu différente de ce carcan-là, pas tellement autocentrée, plutôt tournée vers les autres et qui a encore une page à imprimer.
Vous embarquez les spectateur·ices sur un navire qui ne fait escale qu’un été pour Fifi et Stéphane, comme si la vie devait reprendre son cours et que ce qu’iels partagent étaient hors-temps.
Ces moments hors-temps sont très importants dans l’existence, ce sont des moments de respiration, de découvertes… Ce sont aussi des instants où on peut prendre son temps et ce n’est plus évident aujourd’hui où nous sommes harcelé·es par des notifications, des deadlines qui font passer le temps pour un ennemi alors que le temps est l’un des seuls marqueurs de celuiel que nous sommes et de comment nous évoluons. Néanmoins, pour Fifi et Stéphane, nous nous sommes vite dit que cette histoire n’irait pas au-delà d’un été mais pas à cause de leurs différences de classe. C’était important que ces classes sociales soient personnifiées par Fifi et Stéphane car on oublie parfois qu’on parle de vrai.es personnes quand on mentionne le terme « classe sociale » mais nous souhaitions que cette différence soit gommée par le récit et l’alchimie entre elleux. Tout un tas d’autres problématiques rentrent également dans l’équation pour expliquer le laps de temps très court du récit qui nous renvoie à ces étés bien lointains lorsque nous reprenions l’école en septembre.
Les quelques moments dans la famille de Fifi et chez des connaissances de la famille de Stéphane servent aussi de marqueur pour ne pas appuyer sur leur différence sociale.
Nous venons de milieux très différents tou·tes les deux et ça a apporté beaucoup de changements dans nos vies car chacun·e draine le milieu dans lequel iel a grandi (avec un univers et une ambiance particulière). Les inégalités sociales sont un marqueur dans l’espace public quoiqu’il en soit mais nous ne voulions pas que ça soit une finalité dans le récit. Notre finalité c’était que les personnages aillent vers ce qui leur semble le plus « beau ». Pour Fifi, elle va vers une autre culture et une ouverture alors que pour Stéphane, ce qui est important pour lui c’est d’être écouté. Même si nous ne voulions pas que notre propos soit réduit à une juste différence sociale, il était impossible de ne pas les évoquer. C’était important de pas être démonstratif et misérabiliste dans la démarche. Nous avons pris le parti de ne pas verbaliser cette différence autant que possible entre Fifi et Stéphane parce qu’elle n’est pas importante entre elleux. Néanmoins, elle peut faire partie de ce que Fifi vit quand elle rentre chez elle ou quand elle va chez les ami·es des parents de Stéphane.
Votre co-réalisation amène de la nuance sur tous les thèmes évoqués alors que les premiers films sont souvent ceux où les cinéastes veulent y montrer leurs envies et leurs influences.
Cette co-réalisation ne s’est pas imposée tout de suite, nous avons écrit le scénario à deux et cette question de la mise en scène ne se posait pas tout de suite. Il fallait d’abord s’entendre avoir le même film à l’écriture tout en se complétant. Nous avions réalisé des courts métrages, chacun de notre côté, et Jeanne ne se sentait pas encore prête à attaquer un film comme celui-là mais à deux, nous nous sommes sentis plus fort·es avec moins de doutes et de peur. Nous n’avions pas fait de plan d’attaque avec l’un·e qui s’occupe de la direction d’acteur·ices et l’autre de la caméra etc, la réalisation était vraiment conjointe entre nous. Un film c’est beaucoup d’engagement mine de rien mais un premier film c’est une affaire encore plus importante car c’est celui qui va peut-être le plus compter, à nos yeux et à ceux des autres. Que ce film soit vraiment un mélange de nous deux, aussi bien à la mise en scène qu’à l’écriture, ça en fait, pour nous, déjà un objet un peu à part.
Merci à Jeanne Aslan et Paul Saintillan pour leurs réponses. Interview réalisée le 9 mai 2023 dans le cadre du dispositif Les Chroniqueurs du Studio 43, cinéma à Dunkerque.
Fifi réalisé et écrit par Jeanne Aslan et Paul Saintillan Avec Céleste Brunnquell, Quentin Dolmaire, Ilan Schermann. 1h48
Sortie en salles le 14 juin 2023