Sous la banalité que l’on pourrait reprocher à l’intrigue d’Introduction, s’y love une profonde douleur dans un écrin noir et blanc étonnement doux. Chacune des trois parties constituant ce métrage agrémente une émotion particulière au quotidien qu’Hong Sang-Soo filme comme des souvenirs. Aussi présent dans l’esprit qu’ils paraissent survenir d’un lointain passé.
Chez le cinéaste, la vie et le cinéma ne font qu’un, proposant par ce biais une réflexion sur le jeu d’acteur et son lien inhérent avec la « vérité » des sentiments. Yeong-ho, ancien acteur, représente ce paradoxe d’une émotion préfabriquée pourtant créateur d’un geste aussi simple que beau, l’étreinte. Ces respirations filmiques forment une atmosphère flottante où l’amour et la peine des personnages se partagent un instant. Seuls les sentiments réellement vécus valent la peine, semble dire Sang-Soo et seul l’instant, celui du visionnage, retranscrit aussi bien cela.
Pour ce faire, la pâte habituelle du cinéaste est transmise dans un style quasi-amateur notamment par l’usage du zoom, effet rarement utilisé dans le cinéma contemporain. Ce choix affirme la présence du cinéaste coréen et expose les ficelles de la création tout en laissant une atmosphère onirique s’installer. Le soi-disant réalisme de son cinéma prend fin lorsqu’il joue avec les attentes narratives, particulièrement lors d’une scène de rêve dans la troisième partie. Le personnage interprété par Shin Seok-ho rêve de son ex-petite amie qu’il avait rejoint dans la seconde partie, placé après une scène montrant un échange arrosé avec le vieil acteur de la première partie. Le long-métrage boucle par ce biais les liens entre les segments, intrigues et personnages par une ouverture sur l’irréel.

Cette rencontre énigmatique déjoue nos attentes car la mise en scène ne crée aucune rupture entre l’onirisme du rêve et la réalité du personnage éveillé. Ce moment imaginaire s’annonce subtilement par un simple cut, passant des personnages sur la plage à une voiture d’où sortent les deux amis venants de se réveiller. Le cinéma, la vie, les rêves, tout est au même niveau dans Introduction, retranscrivant par le médium cinématographique la fluctuation des sentiments au sein d’une temporalité à reconstruire.
L’ambiance vaporeuse n’empêche pas au récit d’être méticuleusement construit, ou par petites touches, les éléments thématiques et narratifs prennent progressivement un sens. Chaque situation se donne une surface, par exemple celle d’un homme voulant voir son père ou d’une fille surprise par l’arrivée de son petit ami. Mais derrière se trament des problématiques relationnelles qui passent par le non-dit. Sang-Soo utilise les paradoxes émotionnels de ses personnages pour leur donner une consistance comme lorsque le père prie pour les orphelins tout en fuyant le contact avec son fils.
La courte durée du long-métrage ainsi que l’apparente simplicité de la réalisation n’enlève jamais la densité mise en œuvre dans chacune des scènes. Cette dichotomie entre la complexité de l’écriture et l’épure formelle crée un passionnant paradoxe artistique, demandant une concentration particulière à son audience. Introduction n’est pas le film le plus appréhendable de son auteur mais reste un brillant manifeste de la méthode Hong-Sang Soo. Qui, s’il ne réinvente rien, apporte une variation captivante à son œuvre.
Introduction, écrit et réalisé par Hong Sang Soo. Avec Shin Seok-Ho, Mi-So Park, Kim Young-Ho… 1h06.
Sortie le 2 Février 2022