Présenté à la Berlinale 2022, le dernier film de Quentin Dupieux reste dans la lignée de ces précédentes productions avec une esthétique épurée pour agrémenter une histoire folle. Après Mandibules, il revient questionner la limite entre le réel et l’absurde de nos actions, nos pensées et nos rêves d’enfant.
Alain (Alain Chabat) et Marie (Léa Drucker) visitent une maison lorsque l’agent immobilier leur annonce qu’elle a un secret. Elle possède, à la cave, un tunnel donnant sur une autre maison avec un pouvoir : plus vous passez de temps dans cette habitation souterraine, plus vous rajeunissez… Iels se laissent charmer par la maison et emménagent rapidement…
La première scène reprend une des images de la bande-annonce, nous voyons Alain et Marie s’adresser à des personnages hors-champs, les spectateur·ices. Iels n’arrivent pas à présenter l’action, qui sera expliquée au début du récit. Malgré une révélation assez rapide dans la narration, Dupieux ménage son effet de surprise, avec ce couple aussi impatient que nous de découvrir ce qu’il se passe de si original dans cette maison. Pour cela, le cinéaste décrit toujours aussi bien la routine de ses personnages et, surtout, la banalité de leur quotidien à travers leurs actions et leurs échanges. Une fois la découverte de ce tunnel, il ne s’encombre pas d’explications sur sa présence, pourquoi il est ici sans que ce ne soit gênant pour le spectateur·ice qui, comme Alain et Marie, doit accepter la présence de ce passage comme un état de fait. Néanmoins, leurs réactions seront différentes. Si, à la présentation de cette originalité, Alain se montre enclin à descendre voir ce qu’il se passe, Marie est plus sceptique et apeurée. Des premières réactions en totale contradiction avec la suite du récit. Alain découvre ce tunnel, essaye de le comprendre mais n’y passe pas de temps alors que Marie y séjourne presque de façon permanente.
Très vite, ce couple passe du « vivre ensemble » à la simple cohabitation. Alain est à l’exact opposé de la majorité des personnages de fiction se retrouvant en face d’une autre réalité : il la regarde, l’observe mais n’est en rien excité par ce qu’elle peut lui offrir. Il reste totalement indifférent en continuant de vivre sa vie, certes monotone, mais qui lui convient. Il assume totalement son âge, son expérience pour ne pas avoir besoin de se rajeunir physiquement grâce au tunnel, à la différence de sa femme.

Cette quête superficielle de l’éternelle jeunesse échappe totalement à Marie mais également à leur couple d’ami·es, Jeanne (Anaïs Demoustier) et Gérard (Benoît Magimel). Ce dernier annonce, lors d’un dîner, qu’il s’est fait poser un pénis électronique (oui oui) à la place de son organe pour éviter les problèmes d’érection liés à l’âge. Dupieux excentre le récit du premier couple pour donner de la matière au deuxième à travers des dialogues absurdes, parfois risibles, mais qui nourrissent des thématiques et des maux contemporains comme la superficialité ou la masculinité. Les deux histoires se rejoignent autour de la tristesse commune qu’elles génèrent. Marie tente de se reconstruire, de revivre ses rêves et sa vie différemment pour gommer la frustration de nos choix et de l’abandon de nos fantasmes. Tout comme Gérard, qui ne voit sa force et sa puissance que comme un aboutissement de ces érections, ce que semble approuver sa femme Jeanne. Au rythme de leurs péripéties, Marie et Gérard se retrouvent confronté·es à l’absurdité de leurs décisions face au regard d’Alain (décidément l’œil des spectateur·ices) et par le ton de la narration, qui pousse au ridicule certains de leurs agissements.
Quentin Dupieux livre, certainement, son film le plus tragicomique. Au-delà du scénario avec tous ces éléments fous, le récit est teinté d’une mélancolie qui s’intensifie au fur et à mesure de la narration. Il accorde une importance particulière à mettre au premier plan Alain qui, comme le/la spectateur.ice, assiste à la descente aux enfers de sa femme et aux illusions de jeunesse de son ami Gérard. Tout n’est qu’illusion dans un propos pourtant violent sur notre propre vanité. Le cinéaste ne porte pas de jugements sur Marie, il en fait un de ces personnages s’accrochant à une envie du passé et qui, dès que s’offre à elle la possibilité de la réaliser, va tout abandonner. Porté par un casting au cordeau (Chabat, Drucker et Magimel notamment), Dupieux nous pousse à l’égotisme de nos envies et de nos rêves. Il montre du doigt la dictature morale du « et si… », comme si nos actions pouvaient être sans conséquences et que nos choix se révélaient interchangeables. À travers des moments comiques (le dîner entre les quatre amies est hilarant et malaisant), il se frotte à l’unicité de notre existence et à notre insatisfaction permanente mais également à comment nous préférons nous laisser porter par le progrès scientifique pour vaincre quelque chose d’aussi naturel, au lieu d’apprendre à assimiler cette frustration et à vivre avec.
Incroyable mais vrai écrit et réalisé par Quentin Dupieux. Avec Alain Chabat, Léa Drucker, Anaïs Demoustier…1h14
Sortie au cinéma le 15 juin 2022.