Changement radical de ton ! Après les affres vengeurs mêlés d’une violence brute, et avant un retour vers une œuvre aux contours tout aussi radicaux, une pause avec Je suis un cyborg, et sa proposition plus qu’étrange, qui s’inscrit dans le cadre d’une comédie visuelle excessivement loufoque, sans oublier une discours sur fond de désespoir social.
Je suis un cyborg (2006)
Nous suivons Young-Goon, une jeune femme encline à la folie, qui se persuade qu’elle est une entité robotique. Internée en hôpital psychiatrique, elle lutte par convictions contre sa propre survie : refusant catégoriquement de s’alimenter parce que « les robots ne mangent pas », sa santé décline, et Il-Soon, un autre patient, s’évertue à la convaincre qu’elle est bien humaine. Park Chan-Wook joue avec les codes de la comédie romantique, sans oublier de s’axer vers le drame lorsqu’il s’agit d’aborder les thèmes de la folie, qui sont tout sauf humoristiques. Ainsi, les passages comiques sont avant tout ceux qui se passent dans la tête des patients de l’hôpital, où leur imagination et leurs fantasmes prennent les devants. Dès qu’il s’agit de partir dans le fantasque, il s’en donne à cœur joie, et nous gratifie de séquences plus explosives les unes que les autres.
Jouant avec le surjeu constant de ces acteur·ices pour que le loufoque devienne étouffant, on devient rapidement gêné·e par ce que l’on voit tant Young-Goon s’enferme dans sa persuasion, ne réalisant plus sa santé déclinante. L’occasion de se demander ce qui fait de nous des humain·es, et si toutes les choses que nous appliquons au quotidien sont réellement dotées d’un sens logique. Pour autant, Je suis un cyborg reste une curiosité, ancrée dans ce que le cinéma asiatique peut proposer de plus fou avec ses particularités propres, ce qui le rend très difficile d’accès. On ne peut blâmer celleux qui peuvent qualifier l’œuvre de beaucoup trop abstraite, voire d’une certaine débilité dont l’humour accentue totalement cet aspect, même s’il convient de s’y pencher, et que le traitement de l’humain par le prisme de la folie offre une lecture plus que passionnante. Une pause intéressante dans la carrière de son auteur, plus au niveau du ton général que des thématiques abordées, mais qui malheureusement s’oublie vite, tombée dans l’oubli face au reste de la filmographie.
Thirst – 2009

Les cinéastes coréens ont toujours eu une passion non dissimulée pour la culture française. Pour Parasite, par exemple, Bong Joon-Ho parle de ses nombreuses influences dans le cinéma français, la plus évidente restant La Cérémonie de Claude Chabrol. La littérature hexagonale est également un terreau fertile pour Park Chan-Wook puisqu’il décide avec Thirst d’adapter librement Thérèse Raquin, une nouvelle d’Émile Zola. Pour parler de l’amour auto-destructeur, de ces amant·es qui s’adorent autant qu’iels ne peuvent se supporter au point de décider d’en mourir ensemble pour mener leur passion à l’éternité, il contextualise son histoire en y intégrant le mythe du vampire. Ainsi, nous suivons Sang-Hyun, prêtre catholique qui, suite à une participation volontaire pour tester un antivirus, s’approche doucement de la mort, pour être miraculeusement sauvé par une transfusion sanguine. On assiste à sa tombée dans le vampirisme, le scénario cochant peu à peu les cases du mythe avec un angle légèrement biaisé, offrant un regard neuf et très cynique. L’humour noir est omniprésent, prenant souvent des formes que l’on n’aurait que peu imaginées. On prend pour exemple les passages où, pour ne pas rentrer dans un cercle de violence afin d’assouvir sa soif, et de conserver sa foi, Sang-Hyun choisit d’aller siroter le sang de patient·es d’hôpitaux dans le coma.
Le mythe du vampire n’étant rien sans son romantisme mélancolique, notre héros s’entiche de Tae-Ju, la fille d’un ami, qu’il entraîne dans sa démence maladive. C’est alors que les deux faces d’une même légende, totalement contradictoires, se mettent en place. D’un côté, nous avons celui qui tente de garder une voie juste, sans violence, et parvient tant bien que mal à calmer ses pulsions les plus primaires. De l’autre, celle qui se découvre de nouvelles envies, un nouveau goût pour la violence et le meurtre sanguinaire, et ne compte pas s’en priver. Rite initiatique, passage quasiment toujours récurrent du film de vampire, où celui qui a offert l’immortalité doit en faire comprendre le prix à la nouvelle venue dans ce monde de trouble, cette attirante malédiction. Forcément, la violence croît au fur et à mesure que Tae-Ju refuse l’enseignement et s’enferme dans une cruauté sans nom pour étancher sa soif. Le fatalisme n’a d’égal que le romantisme qui se dégage du film, Park maniant l’imagerie gothique avec brio, invoquant tant Anne Rice que Charles Baudelaire.
Park Chan-Wook joue aux amours impossibles, au romantisme désespéré qui parcourt son cinéma de part et d’autre, tant par des aspects cruels (Sympathy for Mr Vengeance, Old Boy), que par d’habiles stratagèmes qui vont leur permettre d’exister. Somme de toutes ces pièces habilement jointes, Mademoiselle s’impose comme continuité logique des différentes esquisses proposées jusqu’alors.
Je suis un Cyborg, écrit par Jeong Seo-kyeong et Park Chan-wook. Avec Im Ju-seong, Rain, Choi Hee-jin… 1h45
Sorti le 12 décembre 2007
Thirst, ceci est mon sang, écrit par Jeong Seo-gyeong et Park Chan-wook. Avec Song Kang-ho, Kim Ok-vin, Shin Ha-kyun… 2h13
Sorti le 30 septembre 2009