Martin Provost est un cinéaste habitué des biopics féminins (Séraphine en 2008 ou Violette en 2013) et/ou qui place souvent ses personnages féminins au premier plan (comme dans ses deux derniers films, Sage-Femme et la Bonne épouse en 2017 et 2020). Tout semble de bon augure lorsqu’il s’apprête à raconter l’histoire du couple Bonnard, peintres du XXème siècle, et surtout l’histoire de Marthe, la femme derrière le grand Pierre Bonnard. Un résultat plus que décevant allant à l’encontre même de la volonté de représenter une force féminine à l’écran.
Pierre Bonnard (Vincent Macaigne) est un peintre reconnu mais ne serait pas celui que tout le monde connaît sans la présence à ses côtés de Marthe (Cécile de France), sa femme, qui l’accompagne et qui devient elle-même une artiste renommée.
La première scène fait déjà office de piège : Pierre Bonnard est dans son atelier (apprécions le joli fond vert pour représenter la capitale à la fenêtre) et accueille Marthe, une jeune femme qui souhaite poser pour lui. Le cinéaste insère plusieurs ellipses (inutiles et moches) pour montrer les différentes étapes de la création artistique et du basculement du rapport muse/artiste à celui d’amant/amante. Des scènes qui permettent de cerner les personnages dans leurs caractères, Pierre est solitaire et taiseux alors que Marthe est plutôt bavarde et directe, des qualités/défauts qui n’évoluent pas pendant tout le récit.
Le début est un ensemble de rencontres pour Marthe qui intègre le cercle social de Pierre. Face à toutes ces nouvelles têtes se détache assez vite son caractère difficile, elle qui ne supporte pas les attitudes condescendantes des autres femmes autour de Pierre, comme Misia, celle qui l’expose et diffuse ses œuvres, ou Renée, sa future maitresse. La narration semble se diriger vers un point de vue intéressant ; ce que veut démontrer Martin Provost selon ses interviews, c’est la place de la femme derrière l’artiste et comment elle le devient elle-même. Pour cela, il tente de construire et déconstruire l’image de l’artiste sans jamais y parvenir, malgré les grosses ficelles scénaristiques comme les ellipses (encore) et les colères qui font ressortir la vérité dans un monde artistique du faux-semblant.
C’est l’autre point problématique : tous les personnages féminins sont hystériques dans leurs représentations. S’il est admis historiquement que Marthe avait « un caractère difficile » et que le fait de s’isoler en Normandie était aussi un choix par rapport à ces excès de colère, il n’en reste pas moins qu’un·e cinéaste ne représente pas ce qui était problématique à une époque de la même façon à sa propre période. Or, Martin Provost pourrait tout à fait avoir réalisé le film au moment de la mort des Bonnard ou il y a 40 ans, rien n’est contemporain dans sa manière de représenter les sexes ou le désir. Marthe devient une peintre de talent dans un moment d’hystérie pure, lorsqu’elle se sent trahie, René n’exprime ses émotions que par la destruction… Le cinéaste ne sait pas où aller entre le biopic et le film d’auteur, on a l’impression d’avoir un livre d’Histoire de l’art ouvert sous nos yeux sans réelle perception du médium cinéma ni d’empreinte de l’auteur. Si certaines scènes frôlent un début de réflexion (le fait que Pierre soit celui qui permet à Marthe d’exposer et qui lui fait aussi rater cette première exposition), d’autres touchent le ridicule (la joute dans l’eau entre Marthe et Misia…) et démontrent qu’au-delà d’avoir une idée, c’est surtout son exécution qui est importante car jamais Bonnard, Pierre et Marthe ne semble dépasser son simple postulat de vies d’artistes : une monstration plate plutôt qu’une démonstration étayée.
Bonnard, Pierre et Marthe écrit et réalisé par Martin Provost. Avec Vincent Macaigne, Cécile de France, Anouk Grinberg… 2h02