Dans Seul au monde de Robert Zemeckis, Tom Hanks est bloqué sur une île déserte, accompagné de Wilson, un ballon humanisé par son imagination, et est contraint de s’adapter à l’environnement sauvage qui l’entoure pour survivre. En 2023, dans un film de Thomas Bidegain, Mélanie Thierry est bloquée sur une île déserte accompagnée de Gilles Lellouche et est contrainte de s’adapter à l’environnement sauvage qui l’entoure pour survivre. La comparaison est amusante et nous vient immédiatement à l’esprit tant la thématique de la survie sur une île déserte n’a intéressé que trop peu de cinéastes ces dernières années. Les deux films n’ont cependant rien de plus en commun, le réalisateur français parvenant à donner une identité forte et propre à son long-métrage.
Exit le soleil de l’île du Pacifique Sud de Tom Hanks, les tribulations de Mélanie Thierry prennent place dans le froid et la neige des côtes Antarctiques et la survie n’en sera que plus difficile. Le film est adapté du roman de la navigatrice française Isabelle Autissier et fut premièrement pensé, en anglais, pour le duo Jake Gyllenhaal et Vanessa Kirby. Selon le journal islandais Morgunblaðið, le travail s’avère cependant difficile entre Gyllenhaal et le cinéaste français, provoquant le report du film et la fin de la collaboration franco-américaine. Nul doute que ce divorce international et les réécritures scénaristiques qui s’en sont suivies ont donné l’essence même de ce qu’est le film de Thomas Bidegain : une œuvre qui malgré son ambition revêt un côté intimiste plus qu’appréciable.
Dans Soudain Seuls, Gilles Lellouche et Mélanie Thierry interprètent Ben et Laura, un couple ayant pris la décision de faire le tour de monde en mer. Décidant de s’arrêter momentanément sur une île déserte, ils s’y retrouvent bloqués par une tempête. Commence une longue période de survie dans le froid hivernal de l’Antarctique. Collaborateur de longue date de Jacques Audiard, Thomas Bidegain laisse apercevoir dans Soudain Seuls ce qu’il a appris auprès du réalisateur français multirécompensé : comment filmer des personnages au cœur d’un territoire leur étant hostile. Du monde sauvage des Frères Sisters d’où le danger peut surgir de n’importe où au monde sensible de Dheepan dans lequel il paraît impossible de se construire un foyer en terre inconnue, Bidegain semble inspiré par tous ces films qu’il a lui-même co-scénarisés et en emprunte judicieusement certaines idées de mise en scène. C’est notamment le cas dans la manière dont il montre l’inimitié des personnages avec le lieu dans lequel ils sont bloqués par la disproportion des corps et du paysage. L’île semble à première vue de taille modeste et les premières heures qu’y passe le couple paraissent paisibles. C’est seulement une fois la tempête arrivée que la caméra de Bidegain s’élève vers le ciel et nous met face à l’immense et menaçante étendue que l’île représente réellement. À la manière des spectateurs plongés dans le noir d’une salle dont la porte s’est refermée sur eux, Ben et Laura sont eux aussi bloqués sur cette île jusqu’à la fin du film.
Une autre idée de mise en scène de Bidegain tout aussi intéressante consiste à souligner les futurs chemins, différents, qu’empruntent ses deux personnages en les séparant par le cadrage. Cette idée est par ailleurs amorcée dès le début du long-métrage lorsque le couple est en mer. Ben est à la barre alors que Laura travaille dans la cabine du bateau. Les personnages se rapprochent une fois bloqués par la tempête. Ils ont besoin de pouvoir compter l’un sur l’autre et partagent de nombreuses activités dans le but d’améliorer leur quotidien. De nouveau, ils s’éloignent peu à peu. Laura apparaît de plus en plus seule à l’image, la détachant de Ben et faisant comprendre habilement au spectateur l’indépendance dont elle est capable. À l’inverse, lorsque le cadre isole le personnage de Gilles Lellouche, celui-ci semble de plus en plus faible et dépendant de la présence de Laura pour sa propre survie.
Cette survie prend de plus en plus d’importance au fil des minutes qui, pour les personnages, représentent des jours. La mort règne sur cette île et tout semble y être fait pour le rappeler au couple. De la disparition du peu d’animaux qu’ils croisent aux trouvailles d’objets appartenant à des visiteurs passés, rien ne semble leur suggérer une possible survie sur cette terre.
Avec Soudain Seuls, Thomas Bidegain surprend et nous offre, en cette fin d’année, un cadeau que l’on n’attendait pas. L’emballage (un film américain avorté puis réécrit, Gilles Lellouche à la place de Jake Gyllenhaal…) avait certes de quoi nous préoccuper, mais aucune inquiétude, ce qui s’y trouve à l’intérieur vaut le coup d’œil. Soudain Seuls n’est donc pas ce coffret Scorpio offert par cette tante que vous connaissez à peine. Le film est une vraie bonne surprise et pourrait, on l’espère, tendre au retour d’un cinéma minimaliste où deux acteurs et une île suffisent pour produire 1h50 de grande qualité.
Soudain Seuls de Thomas Bidegain. Avec Gilles Lellouche et Mélanie Thierry… 1h50
Sortie le 6 décembre 2023

