Aparté : Dans un soucis de fluidité dans cette retrospective dédiée au cinéaste Yasujir? Ozu, nous avons décidé de ne pas composer d’article sur le film Eté précoce (1951). En effet, ce dernier – bien que majeur dans l’oeuvre du monsieur – a une histoire, un cheminement narratif ainsi qu’un contexte de production très similaire au précèdent long-métrage abordé : Printemps tardif. Pour autant, nous vous recommandons fortement son visionnage. Déjà car c’est une nouvelle occasion d’admirer Setsuko Hara au sommet de son art dans le rôle d’une autre “Noriko”, mais surtout car Eté précoce permet d’élargir le portrait du Japon déjà détaillé dans le film précèdent notamment par une plus grande galerie de personnages délicieux, toujours composés avec l’aide de K?go Noda à l’écriture.
Dès son introduction, Le goût du riz au thé vert se révèle être un film très particulier, pour son époque, et dans la filmographie-même de Yasujir? Ozu. On y découvre plusieurs amies, cherchant une excuse à donner à leurs maris pour justifier une absence leur permettant d’aller se prélasser au onsen. On y filme en même temps une certaine malice, mais aussi une volonté d’émancipation tout à fait légitime. Le mensonge fonctionne de justesse et les trois amies s’accordent une après-midi aux spas. Là-bas, la présence de carpes koi attire leur attention et elles se mettent à moquer le mari de l’une-d’entre-elles, Taeko, le comparant à une carpe se mouvant très lentement.

De cette introduction, on pourrait penser que découle un film assez simple, au fil rouge bien défini sur les femmes, leur besoin d’émancipation, sur la société patriarcale japonaise, sur sa dureté. Ce n’est pas exactement le cas. Si Ozu s’est longtemps plu à filmer le désir ou le refus de se marier – c’est d’ailleurs la direction que semble emprunter le film dans sa première heure via le personnage de Setsuko (interprétée par la sublime Keiko Tsushima), la nièce de Taeko – c’est bel et bien le mariage en lui-même qu’il questionne aujourd’hui.
Il est vrai qu’à la description de Taeko et de ses amies, Mokichi – son mari, ne semble pas être quelqu’un de forcément appréciable. Les rares scènes où le spectateur a la chance de la croiser, ce dernier ressemble bel et bien à la carpe koi précédemment aperçue. Puis, les rôles s’inversent. Taeko, alors modèle de modernité à nos yeux, arrange une rencontre pour sa nièce que cette dernière fuit de manière désinvolte en critiquant le barbarisme de telles pratiques. Setsuko se réfugie aux côtés de son oncle, et on découvre enfin ce personnage, sa simplicité, sa beauté imparfaite, mais honnête.

S’en suit une dernière partie frontale, d’une puissance salvatrice hors-normes et qui donne son titre au film. Les deux mariés se retrouvent après quelques querelles et décident de préparer le dîner ensemble, alors que la servante de la maison est déjà couchée. C’est ainsi que, prenant le temps de coopérer, partageant un moment des plus précieux, nos deux personnages semblent s’aimer à nouveau ou peut-être même pour la toute première fois. La scène de conclusion évoque évidemment son introduction mais cette fois-ci sans aucune rancoeur. La paix est arrivée, et après la guerre, elle est la plus bienvenue.
Des années avant Kramer contre Kramer ou encore Marriage Story, Ozu filme le délitement du couple avec une intensité spectaculaire pour son époque. On pourra peut-être lui reprocher d’abandonner un peu tôt certains personnages, ou même de ne pas régler l’entièreté de son récit sur la même puissance. Mais l’honnêteté de son récit et la cohérence de son casting (Shin Saburi mérite évidemment son prix Mainichi du meilleur acteur) auront raison de vos yeux, comme d’habitude.
Le Goût du riz au thé vert, de Yasujiro Ozu. Écrit par K?go Noda et Yasujir? Ozu. Avec Shin Saburi, Michiyo Kogure, Keiko Tsushima… 1h55
Film de 1952, sorti en France le 1er janvier 1994.